Archive for novembre 2012

Chansons de chevet

30 novembre 2012

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Récemment, j’ai été contacté par l’auteur français Baptiste Vignol, spécialiste en chanson et polémiste à  ses heures (il a signé le pamphlet Cette chanson que la télé assassine). Pour un bouquin en préparation, il me demandait quelles étaient mes dix chansons de chevet.Voilà un jeu amusant et vicieux, surtout que je suis davantage un amateur d’albums plutôt que de morceaux isolés. Je préfère un disque cohérent, qui reflète une démarche artistique à un moment précis, même avec des chansons plus mineures, qu’une compil de grands succès pigés à gauche et à droite.

Par contre, grâce à la technologie du cd ou du mp3 (encore mieux) on peut aimer un album mais supprimer (ou sauter) les chansons qu’on n’aime pas. Ainsi, le premier disque solo de Louis-Jean Cormier, par exemple, j’en jette trois morceaux et je garde les autres bien au chaud dans mon iPod. Ou quand Renaud avait publié le double album Rouge sang, il fallait en supprimer environ le tiers pour obtenir une oeuvre qui continue d’être cohérente esthétiquement mais expurgée des déchets.

Je me suis donc cassé la tête pour arriver à une liste de dix chansons de chevet. De chevet? Je l’entends comme importantes d’un point de vue non pas historique mais personnel. Certaines pourraient être dites «mineures» comparativement à certains classiques des dernières décennies, mais je pense qu’il fallait choisir des choses qui font vraiment vibrer, et non pas qu’on admire objectivement mais parfois un peu froidement, avouons-le.

Dix, c’est peu. J’aurais pu en mettre 50. Pardon à celles qui ont été exclues, exercice crève-cœur: Gilbert Laffaille (La tête ailleurs), Christophe (Comm’ si la terre penchait), Jacques Brel (Les désespérés), Renaud (Oscar), Offenbach (Mes blues passent pus dans’ porte), Dominique A (Je suis une ville) ainsi qu’une deuxième d’Élisa Point (Pressés de nous revoir)…

Rien de Gainsbourg, pourtant un des mes artistes préférés. Il aurait fallu mettre des disques, pas des chansons.

Voici donc celles qui sont restées:

1) Jacques Bertin, Les chants des hommes (version en public de 1989)
2) Étienne Daho, Ouverture
3) Philippe B, Archipels
4) Jean-Roger Caussimon, Le funambule
5) Cookie Dingler, Femme libérée
6) Anne Sylvestre, Il s’appelait Richard
7) Pierre Bondu, Mieux que personne
8) Alain Souchon, Le dégoût
9) Élisa Point, Rome en Vespa
10) Alex Beaupain, Juste ces mots

Maintenir le cap

25 novembre 2012

En 2009, Claire Pelletier publiait Six, un album de toute beauté, un des meilleurs de l’année. Un choc. Sa voix somptueuse, bien sûr, mais aussi sa solide équipe d’auteurs-compositeurs: Marc Chabot, Sylvie Massicotte, Michel X Côté, etc. Sans oublier naturellement le metteur en son, compositeur et fidèle Pierre Duchesne.

La voici qui revient avec Soleil ardent. Les attentes sont élevées. D’entrée de jeu, on ne peut qu’être déçu que la chanteuse ait choisi de replonger dans le répertoire traditionnel de France et du Québec plutôt que d’offrir une vraie suite à Six, avec des chansons originales. Il faut donc un peu s’accrocher au début. Réécouter. Prendre son temps. La laisser s’épanouir.

Et l’enchantement s’immisce peu à peu. Parce que c’est elle, que la pureté de son talent nous colle des frissons irrépressibles. Sur Soleil ardent, l’interprète continue de convoler en justes noces artistiques avec Pierre Duchesne qui signe de nouveau une réalisation toute en finesse, entre instruments (guitares, piano, etc.) et effets électroniques élégants.

Il y est beaucoup question de la condition féminine à travers les âges, d’amour, dans ces vieilles chansons que Claire Pelletier sait rendre envoûtantes. Duchesne, lui, sait en gommer les aspérités les plus flagrantes du temps.

Une réussite.

Réussi aussi, le nouvel album d’Alexandre Belliard. Il nous offre le tome 2 de ses Légendes d’un peuple, neuf mois après le premier (mon billet). C’est la même bande qui revient: Hugo Perreault réalise et joue, avec comme autres musiciens Richard Séguin, Éric Goulet, Guido del Fabbro, Philippe Brault… Le dyptique aborde le thème des francophones au Québec et en Amérique. De l’Histoire en chansons. Pédagogique, certes, mais aussi très agréable à écouter. Avec beaucoup de guitares acoustiques.

Chansons pour durer toujours

22 novembre 2012

Un coffret, pour le passionné, c’est une grande joie.  Seuls les voisins ont le droit de se plaindre («Quoi? Encore Barbara? Merde, encore Julien Clerc!» ou «Il va nous lâcher avec son Brassens?»). En cette fin d’année, avec la ribambelle de belles parutions musicales de longue haleine, ça va gueuler dans le voisinage et ça va frémir de bonheur chez le dingue de chansons.

Ainsi, cette anthologie de Richard Séguin est pure joie. Elle couvre quatre décennies de carrière, à partir des albums des Séguin avec sa soeur jumelle Marie-Claire. Et l’auteur-compositeur-interprète est peut-être le seul de sa génération à avoir aussi bien vieilli, à avoir su s’adapter à l’air du temps sans se trahir et surtout avec un talent constant. Car le chanteur sait y faire, avec une solide habilité, de ses premiers morceaux qui sentaient bon le Flower Power des années 70 québécoises, à la pop-rock de ses tubes (Journée d’Amérique; L’ange vagabond; Aux portes du matin; etc.) jusqu’aux albums plus récents, d’un folk plus sobre et mûri. On serait même tenté de croire qu’Appalaches, son dernier opus studio, pourrait être son meilleur à vie.

Le boîtier en gros carton épais, manière artisanale, renferme trois compacts qui couvrent donc de 1972 à 2012. On dit que le choix des titres (remastérisés) a été fait par Séguin lui-même. Globalement, il est judicieux, quoiqu’on peut déplorer l’absence de Illusion (du splendide Fiori-Séguin de 1978) et d’Avec toi. Bonne idée aussi d’inclure un DVD du spectacle de la tournée De colères et d’espoir, capté aux Francofolies de Montréal en 2012. Séguin y était accompagné parfaitement par les guitaristes Hugo Perreault et Simon Godin. Quand tu détiens un tel répertoire, tu n’as pas besoin de plus.

Le format du coffret est celui des DVD, avec un livret luxueux d’une soixantaine de pages  contenant des extraits de propos du chanteur ou articles de presse ainsi qu’un long texte de présentation historique et biographique de Micheline Bleau (avec Élizabeth Gagnon à la recherche et Yves Archambault au graphisme de la pochette). L’oeuvre est bien mise en contexte et on explique les idées de l’homme derrière l’artiste. Louable entreprise. Très beau coffret.

Quelques sérieux bémols quand même: d’abord le côté artisanal de l’objet le rend beau mais souvent illisible. La provenance exacte des chansons n’est pas spécifiée, les crédits sont peu lisibles, sans oublier certaines fautes d’orthographe dans les titres, et l’oubli d’un morceau (Chanson pour Marthe, à la fin du cd 1) au verso du coffret, corrigé par un errata glissé à l’intérieur… On aurait aussi apprécié qu’il y ait plus de raretés (par exemple de son 33 tours jamais réédité en cd, Trace et contraste, 1980) ou même des inédits, qui sait, il doit en posséder dans ses tiroirs.

L’ensemble s’appelle Ma demeure, mais c’est aussi la nôtre. Et on s’y sent bien.

Spectra sort en parallèle une version en un seul cd, Les classiques, qui reproduit les paroles ainsi qu’un texte de Richard Séguin qui explique l’importance qu’a selon lui l’art de la chanson. Deux choses qui ne figurent pas dans Ma demeure, on pourra le regretter.

Richard Séguin, Ma demeure (3 cd, 1 dvd; Spectra) ainsi que Les classiques (1 cd; 17 titres; Spectra)

Pop littéraire pour gens pas pressés

19 novembre 2012

Le troisième album du Québécois Éric Bélanger est encore une fois une splendeur de délicatesse poétique et musicale. Que ce soit sur les deux disques précédents ou en spectacle, on s’émerveille du plaisir renouvelé à écouter cet auteur-compositeur-interprète.

À qui s’adresse cette pop feutrée? Aux amateurs de Pierre Lapointe, des premiers Biolay, du Daho des années 90/2000 (le meilleur) et aussi, oserait-on croire, aux générations plus vieilles qui aimaient les chansonniers (Félix Leclerc, Ferland, Sylvestre, Ferré, Brassens, Lelièvre, Barbara, etc.) et ne s’en sont jamais remis.

Les chansons fragiles et susurrées d’Éric Bélanger devraient normalement attirer ces publics variés : nouvelle chanson française et chansonniers. Dans un monde idéal, on ferait jouer ses cd chez les disquaires et plusieurs clients pointeraient l’oreille : c’est quoi ça? C’est bon!

À l’ancienne. Ou des badauds d’un festival en plein air tomberaient par hasard sous le charme de ses chansons au climat vaporeux, on peut y savourer beaucoup de piano, effleuré.

Cet artiste est à découvrir, à prendre le temps de connaître. Mais pour cela, il faudrait aussi qu’il s’aide un peu. La pochette, mine de rien, est un élément de vente capital : c’est comme ça que le journaliste ou l’acheteur peut se faire une première idée. Le titre également peut accrocher ou faire décrocher. Ici, avec «Speedo tuxedo», titre ridicule sur pochette hideuse (et réciproquement), le chanteur a tout faux.

On savait qu’il appréciait les jeux de mots douteux (le premier opus s’appelait «Bananaspleen»!), mais cette fois-ci je pense qu’on atteint le summum de la kitscherie.

Dommage car les chansons, elles, sont magnifiques. On ne peut que lui suggérer de s’inspirer, à l’avenir, de la pochette et du titre de son second disque : «À 35 millimètres du bonheur». Les éditions québécoise et européenne étaient chacune fort jolies.

Pour le moment, écoutez Éric Bélanger, les yeux fermés, plaisir gourmet garanti.

Éric Bélanger, Speedo tuxedo (Kartel Musik)

Québécitude

15 novembre 2012

Encore une très belle réédition qui souligne cette fois le 35e anniversaire du premier album de Paul Piché, qui nous plonge dans notre joyeuse québécitude, à une époque où la chanson sociale pouvait se pratiquer sur des airs de musique traditionnelle. Pas certain qu’un amateur de chanson francophone qui écouterait, en 2012, pour la première fois ce disque à l’âge adulte y trouverait son compte, mais nous sommes des milliers, de tous âges, à avoir adoré les chansons de À qui appartient l’beau temps? Et on est en présence d’une série de vrais classiques québécois, de ceux qui rassemblent les générations autour de morceaux contagieux: Heureux d’un printemps, Y’a pas grand- chose dans l’ciel à soir, Mon Joe…

Bonne idée de le rééditer, car l’édition cd datait déjà de 1987. Ici, on a remastérisé l’album orignal. C’est un réel plaisir de retrouver, par exemple, Chu pas mal mal parti, une des plus fortes du répertoire de Paul Piché. Et s’il y a quelqu’un que l’on doit remercier pour ce 33 tours original, c’est Robert Léger, le co-réalisateur (avec Michel Lachance). En 1977, Léger venait de quitter son groupe Beau Dommage et avait désormais envie de se consacrer à la réalisation d’albums. On raconte qu’il aurait mis deux ans à convaincre Piché d’entrer en studio, ce dernier ayant des réticences à le faire car ça faisait trop commercial et ça ne cadrait pas avec ses idées révolutionnaires! C’était une autre époque, l’idéalisme, le rêve y avaient droit de cité.

Non seulement c’est Robert Léger qui a convaincu Piché du bien fondé du projet, mais il a pris les choses en main comme un directeur artistique, sélectionnant avec le chanteur quelles chansons inclure et quelles rejeter (hélas, il ne semble plus rester trace de certaines exclues). Et il a convié pour l’enregistrement ses compagnons de l’entourage de Beau Dommage (Rivard, Bertrand) et d’Harmonium (Serge Fiori joue des guitares sur Réjean Pesant, Neil Chotem du piano Fender Rhodes, Liebert Subirana du saxophone), sans oublier l’harmoniciste et tapeux d’pieds Alain Lamontagne sur l’extraordinaire Y’a pas grand-chose dans l’ciel à soir…

C’est toute cette effervescence qui revit ici sur ce double compact à la présentation soignée, à la pochette dûment cartonnée, avec les paroles des chansons (sauf pour Réjean Pesant, oubliée). Un deuxième cd propose une relecture d’Heureux d’un printemps par Loco Locass et deux documentaires audio. Le premier, très intéressant, raconte en 40 minutes la genèse de l’album avec les témoignages de Piché, son attaché de presse de l’époque Jacques Ouimet et bien sûr le maître d’oeuvre, Robert Léger. Dans le deuxième document sonore (33 minutes), le chanteur revient sur chacune des chansons du disque, en y allant d’anecdotes et de propos sociaux. On aurait préféré que le premier soit plus long, plus complet (avec par exemple des explications sur le choix de la pochette, des photos, etc.) et le deuxième, plus court, mais ce deuxième compact est instructif et l’ensemble de cette réédition très réussie redonne envie de plonger dans notre québécitude, à une ère bénie où on rêvait encore d’un pays.

Paul Piché, À qui appartient l’beau temps? (remastérisé; 2 cd; Audiogram)

Traversées (3)

14 novembre 2012

Avant de passer aux choses courantes, je voudrais juste répondre publiquement à quelqu’un qui depuis deux jours se demande, sur le dernier Daphné consacré à Barbara, qui chante avec elle Göttingen. Il s’agit de Jean-Louis Aubert. Les deux autres duos sont Dis, quand reviendras-tu? (avec Benjamin Biolay) et La dame brune (avec Dominique A dans le rôle de Georges Moustaki). Certains spécialistes semblent l’avoir oublié mais une des plus belles interprétations de Ma plus belle histoire d’amour, on la doit à Boris Mégot sur le cd Check-up (c’est un Français, faut lui pardonner un pareil titre).

Le critique musical est-il un raté sympathique, un musicien raté? Et s’il était plutôt un directeur artistique raté? Quelqu’un que l’on payerait pour donner des avis artistiques directement à l’artiste, avant que le mal ne soit fait et public? Quelqu’un qui ne ferait pas semblant d’être objectif et aurait assez de prétention en lui pour diriger un créateur, au risque – terrible – de passer pour un censeur! Ouah! La censure!

Ainsi, à Françoise Hardy qui vient de faire paraître un sympathique disque (L’amour fou), on pourrait la tutoyer (fantasme) et dire: tes collaborations sont intéressantes (Thierry Stremler, Victor Hugo, Pascal Colomb, etc.), le thème amoureux te va à merveille, ta voix languide nous émeut, mais où sont les guitares? Ces six cordes acoustiques qui font ton charme, ta sensualité, qui primaient jadis, on ne les entend plus… Le piano domine, et on y perd. Ça alourdit. Et le directeur artistique dirait aussi: Françoise, on t’aime vraiment bien, mais pourquoi ne mets-tu pas plus de temps pour fabriquer tes albums? Avant, c’était environ 5 ans et maintenant 2? Laisse-toi désirer. Concocte des choses imparables, comme Clair-obscur en 2000.

Que dirait le directeur artistique qui sommeille dans le journaliste à Moran, qui vient de sortir son troisième opus, Sans abri? D’abord, de faire des disques moins longs, car le type de chansons qu’il fabrique, poétiques, exigeantes, requiert une attention de tous les instants. 35 minutes, ce serait suffisant, beaucoup plus efficace. Ça tombe bien: il y a au moins deux morceaux à supprimer là-dessus, qui jurent avec l’ensemble en faisant crisser l’oreille: Lovely God et Ourse. Ensuite, malgré toute l’admiration que l’on a pour le réalisateur Yves Desrosiers (Jean Leloup, Lhasa et un magnifique opus personnel, Volodia), est-il vraiment l’homme de la situation pour colorer les nouvelles chansons de Moran? Il insuffle une énergie rock qui ne cadre pas du tout avec l’intimisme du chanteur. Moran, on l’aime acoustique, sobre, chaud, personnel. On n’a pas vraiment envie de l’entendre parler des problèmes de société, ce n’est pas son rayon. L’art engagé est une pratique casse-gueule, qu’il faut parfois avoir la modestie de laisser aux autres, à nos ancêtres qui y ont excellé: Renaud, François Béranger, Alain Souchon, Paul Piché, etc. Je dirais enfin à Moran qu’il a beaucoup de talent, et que s’il avait laissé Sans abri à l’état de maquettes, il n’en aurait été que meilleur. Suggestion pour la prochaine fois: demande à ton guitariste Thomas Carbou de sortir ses guitares sèches, mettez-vous face à face, juste tous les deux, devant des micros. Enregistrez, mixez, servez chaud.

Essentiel Julien Clerc

13 novembre 2012

Voici une magnifique réédition, peut-être la meilleure de l’année. Julien Clerc a choisi, lui-même paraît-il, l’essentiel de son œuvre de 1968 à aujourd’hui.

Ici, il ne s’agit pas d’une énième compilation de ses «meilleures» chansons, mais plutôt de la reprise intégrale de certains de ses albums studio originaux. Sur les 12 choisis, 8 proviennent de la première décennie de sa carrière, la plus excitante, et qui a d’ailleurs inspiré Pierre Lapointe pour son fameux disque La forêt des mal-aimés (2006). Quatre cd couvrent le reste: deux pour les pénibles années 80, le retour en force avec Utile (1992) et le dernier opus studio (le sympathique Fou, peut-être, 2011, dans sa version 12 titres, sans les bonus).

Un treizième cd présente des morceaux à l’unité, dits «Les incontournables». Ça ratisse large, des sublimes Le coeur volcan et L’assassin assassiné à l’exaspérant Coeur de rocker.

Presque rien à redire sur le contenu, et le contenant est très beau aussi.

Les albums sont présentés sous une mince enveloppe cartonnée avec la pochette originale (recto, et parfois même verso). Mais la grande nouveauté, par rapport aux coffrets du même genre (pas chers et assez complets) de ses confrères français c’est la présence d’un gros fascicule qui réunit chacun des livrets des cd, avec les paroles, les photos et parfois les crédits. Et tout cela de manière lisible, contrairement aux habitudes pour ce type d’éditions!

Naturellement, on peut toujours trouver à redire. Il n’y a pas de texte de présentation de l’artiste dans le fascicule, et ils ont omis de mettre l’essentielle Ballade pour un fou (Loco, loco). On peut aussi regretter l’absence des opus Où s’en vont les avions? (son meilleur depuis des lustres) ainsi que À mon âge et à l’heure qu’il est (1976). Et les amateurs plus pointus de Clerc auraient probablement voulu retrouver les chansons Le petit vieillard qui chantait mal et Les fleurs des gares.

Mais à part ça, c’est une réédition exemplaire.

Julien Clerc, Le coffret essentiel (13 cd; EMI)

Toute la musique qui bouge vient d’Afrique

7 novembre 2012

Photo: Anouk Lessard

C’est Bernard Lavilliers qui le dit, ça doit être vrai. Au cours d’une de ses fameuses «improvisations» des années 70, il lance ça, «toute la musique qui bouge vient d’Afrique». Il serait mal aisé de le contredire, mais chose certaine la couleur africaine se marie parfois à merveille à la chanson francophone. Pensez à «Gainsbourg percussions», un classique de 1964. On en passe, pour s’attarder au troisième album du Montréalais Sébastien Lacombe. La meilleure surprise de l’automne. Un disque accrocheur, tantôt rythmé, tantôt folk-pop, qu’on a envie de se repasser, avec un plaisir immédiat.

Lacombe a puisé une partie de son inspiration dans un séjour de neuf mois au Sénégal avec sa petite famille. On a tellement aimé le résultat, un des opus les plus singuliers de l’année, qu’on lui a posé quelques questions par courriel, histoire de saluer sa démarche.

Q : À quel endroit et pour qui as-tu été chroniqueur et vidéaste?

R : J’ai été vidéaste et chroniqueur pour mon blogue que je tenais sur le site de Radio-Canada (extraits).

Aussi, je viens du milieu de la vidéo ayant pratiqué le métier de producteur de clips et publicités.

Q : Étais-tu friand de musiques du monde avant ton séjour en Afrique?

R : Oui, j’ai toujours été friand de la musique du monde avant mon séjour en Afrique, je suis un fan de longue date d’artistes tels Tiken Jah Fakoly, Habib Koite et Rokia Traore. Je suis aussi fan d’instruments authentiques et anciens tels la cora et le balafon et des sonorités qui riment avec voyage. J’aime beaucoup la musique du film Babel du compositeur Gustavo Santaolalla pour l’habillage organique et juste de la bande sonore.

Q : Qu’est-ce que ce séjour en particulier ou les voyages en général t’ont apporté sur le plan humain et artistique?

R : Sur le plan humain, ce voyage m’a apporté beaucoup. Il m’a ouvert à une autre culture , à des nouveaux amis, je me suis débarrassé de pleins de préjugés et d’idées préconçues que je m’étais faits sur l’Afrique ! J’ai un peu délaissé mon ordinateur (il y avait beaucoup de coupures d’électricité) pour redécouvrir les joies de la discussion et de prendre le temps de serrer des mains, de vivre une vie moins stressante et boire le thé avec des amis pendant quelques heures.

Sur le plan artistique, ce voyage m’a permis de redécouvrir l’auteur et le musicien en moi qui s’étaient égarés et essoufflés avec le temps. J’ai retrouvé le plaisir de jouer de la musique là-bas grâce à plusieurs rencontres, je pense à mon ami Oumar Sall, guitariste et joueur de xalam, à mes répétitions avec l’orchestre national du Sénégal dans le quartier populaire de la Médina en plein centre-ville de Dakar. Au niveau du texte, j’ai retrouvé l’inspiration de parler des choses importantes pour moi. Des sujets m’ont réellement touché comme celui des enfants de la rue (les talibés) qui a donné ma chanson «P’tit gars». Ma chanson Je ne suis plus comme avant explique bien, je crois,  les changements qui se sont effectués en moi, grâce à ce voyage.

En étant éloigné de mon pays pendant plusieurs mois, j’ai pris le recul nécessaire et réalisé l’importance de mes racines québécoises dans mon cheminement artistique.

Q : Tu as enregistré là-bas avec musiciens ou instruments africains sur place? Comment c’était? L’écriture des chansons a-t-elle été transformée ou tout était déjà prêt avant d’entrer en studio?

R : J’ai apporté mon studio maison là-bas et même visité quelques studios et effectué des enregistrements là-bas. Je n’ai pas gardé beaucoup de choses pour mon disque, disons que j’ai beaucoup expérimenté.

On a fait beaucoup de ménage dans le studio ici avec Pilou, le co-réalisateur de l’album. On a gardé que l’essentiel : le xalam sur certaines chansons («Les maîtres du temps» ; «Adouna» et «Mr taximan»). Le xalam est un instrument peul , ancêtre probable du banjo. Aussi l’enregistrement intégral d’une répétition de «La batuka de la isla»* sur l’île de Tarafal au Cap-Vert. «Adouna» est chantée par mon ami Oumar Sall qui me l’a offerte en cadeau pour notre amitié. Oumar est un peul, peuple berger.

À force de jouer avec des musiciens africains qui ne sont pas très scolaires pour la plupart mais très instinctifs, je me suis plus fié à mon instinct dans la composition de mes morceaux et on peut voir aussi l’influence de la musique africaine au niveau de la composition de mes morceaux; peu de changements d’accords guidés par des mélodies fortes.

Q : Est-ce que cet apport «musique du monde» à tes chansons peut les conduire vers un nouveau public,  a priori moins adepte de chanson francophone?

R : Cet apport musique du monde à mon cd peut certainement me conduire vers un nouveau public, mais je ne voulais pas faire un disque africain mais bel et bien un disque québécois reflétant une influence world, en fait, j’espère que j’ai réussi ! Au contraire, je crois que les adeptes de la chanson francophone vont aimer plus ce disque que mes précédents car ayant gardé le texte en avant, je crois que j »apporte un petit quelque chose d’exotique, une plus-value!

Q : Pourquoi ne pas avoir inclus de livret dans ton cd?

R : Je n’ai pas inclus de livret de paroles pour plusieurs raisons; la première étant d’ordre écologique; mes paroles étant téléchargeables sur mon site Internet.

L’autre était d’ordre esthétique, je voulais présenter un disque épuré au niveau du design de la pochette.

Q : Parle-nous de ta prochaine tournée, sera-t-elle différente?

R : Je pense que la prochaine tournée sera effectivement différente, je travaille à l’heure actuelle à la préparation du spectacle. Ce sera un spectacle/documentaire où la vidéo et les images seront de mise. J’aimerais que ce spectacle fasse voyager et réfléchir les gens qui vont y assister!

Sébastien Lacombe, Territoires (Productions Labombe)

(* le morceau caché de l’album)

Traversées (2)

1 novembre 2012

Certains albums demandent du temps, des réécoutes, afin de les apprivoiser. Surtout quand on attend autre chose d’eux. C’est le cas des nouveaux Catherine Durand et Louis-Jean Cormier.

Pour être franc, quand on a appris que Durand s’apprêtait à changer de style, on a eu peur. Elle avait attendu son troisième opus (le joli Diaporama en 2005) pour se débarrasser de sa variété molle tendance FM pour nous plonger dans le folk délicat, doux et acoustique. On y était heureux. Bonheur prolongé avec le cd suivant, tout aussi réussi (Coeurs migratoires, 2008). Et là, on annonçait qu’elle ferait dans la pop atmosphérique, délaissant les guitares en bois pour les claviers. Sur scène, cet été aux Francofolies de Montréal, la différence choquait entre nouveau et vieux répertoire. Sur son cinquième, Les murs blancs du nord, fort heureusement, ça passe beaucoup mieux. Ça commence d’ailleurs par L’aube t’attendra, une chanson qu’on aurait pu retrouver sur les deux disques précédents. Puis Catherine installe une espèce de folk un peu planant, mais pas trop. Elle n’a pas ajouté de force des guitares électriques, des batteries et des claviers, à la dure, ça reste globalement tranquille. Ça ne frappe pas d’emblée le coeur comme avant, mais ça instaure un climat bien à elle.

Le projet «solo» de Louis-Jean Cormier était attendu depuis longtemps. Ce gars-là, on l’aime depuis des lustres. Karkwa est peut-être le groupe rock le plus littéraire, excitant et européen au Québec. Cormier pourrait chanter n’importe quoi, avec la voix qu’il a, ça crée instantanément des frissons. Mais il est aussi un artiste éclectique, d’immense talent. Jadis, il a joué sur scène pour Chloé Sainte-Marie. Il a fait un duo avec Marie-Claire Séguin sur une chanson de Gilles Vigneault, un autre avec Marie-Pierre Arthur sur un morceau de Jim Corcoran, un autre avec Daran, un autre avec Catherine Durand, sans oublier une collaboration discrète et remarquable le temps d’un titre de Daniel Lavoie… Et sa grande oeuvre, l’hommage discographique et scénique au poète québécois Gaston Miron, 12 hommes rapaillés.

D’un projet sans ses amis et musiciens de Karkwa, on aurait pu attendre un opus fébrile, dépouillé, presque nu et brut d’émotion, avec des textes plus directs et personnels. On aurait pris du folk acoustique, sa voix chaude. Mais il a choisi de nous surprendre, nous déstabiliser. Pour une partie des paroles et de la direction artistique, Louis-Jean a demandé de l’aide à Daniel Beaumont, l’excellent et singulier parolier de Tricot Machine et Renée Martel (sur le crève-coeur La fin est triste). Et il a convié des musiciens et choristes. Ça donne une pop-rock, parfois un peu trop échevelée (J’haïs les happy ends), mais bien accrocheuse dans ses moments plus calmes ou dénudés. Avec un refrain qui reste au coeur: «Je veux qu’on fasse le tour de la planète à vélo»…