Bernard Lavilliers, O Gringo (1980)
Passons rapidement sur les aspects mythomane et plagiaire du chanteur, habilement développés par Michel Kemper dans son ouvrage «Les vies liées de Lavilliers» (Flammarion) et sur son blogue à des multiples reprises. Plus on fouille les textes de l’artiste, plus on découvre d’emprunts inavoués (si c’était déclaré, on n’y verrait aucun problème).
On raconte que O Gringo devait à l’origine s’appeler Du monde entier, en référence au recueil de poèmes de Blaise Cendrars, mais qu’il n’a pas obtenu les droits des héritiers du poète. Dommage, car ce titre était parfait. Ce disque a été enregistré dans quatre pays d’avril à décembre 1979. C’est cet éclectisme, ces différents registres musicaux qui en font sa richesse. Il démontre la diversité d’inspiration de l’auteur-compositeur, son ouverture aux voyages et une certaine prise de risque. Ce qu’on ne retrouve pas, par ailleurs, dans son excellent album Les barbares, qui aurait pu lui aussi se retrouver dans cette discothèque idéale.
O Gringo, avec sa pochette sous forme de carte postale exotique, savamment en désordre pour faire rêver, fait un saut du côté de New York pour de la salsa et du rock, à Rio de Janeiro pour les parfums brésiliens (les superbes O Gringo et Sertao), à Kingston pour le reggae et à Paris pour une reprise d’Aragon/Ferré, Est-ce ainsi que les hommes vivent?
Dans la capitale française, Lavilliers enregistre aussi une de ses plus belles chansons à vie, Attention fragile. Des érudits ont prouvé que le texte est en partie plagié sur Pierre Louÿs (les détails ici). Mais cette histoire démontre également à quel point le chanteur sait transformer ce qu’il vole. Car Attention fragile, ce n’est pas seulement de jolies paroles, c’est l’alliage parfait de ce que devrait être cet art si difficile qu’on nomme chanson: un texte, une musique magique, un arrangement et une interprétation. Tous ces ingrédients bien dosés, avec le savoir-faire hors pair de Lavilliers, ça donne un chef-d’œuvre. Si seulement, l’honnêteté lui avait fait mettre Louÿs dans les crédits du texte, tout le monde serait content, l’esprit en paix.
O Gringo est non seulement un sommet dans l’oeuvre de Lavilliers, mais également un point de référence, un modèle pour toute la chanson française.
(billet inédit)