Archive for octobre 2016

Promenade

31 octobre 2016

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Voici vingt ans que Mathieu Boogaerts se promène dans la chanson. Au début, il marchait à pas timides. Il s’affirma avec l’album «2000» qui posait un premier jalon important. Puis il y eut «Michel» qui reste peut-être ce qu’il a fait de mieux à ce jour. Ensuite, il bifurqua avec l’énervant «I Love You», une erreur de mauvais goût. Heureusement, dès le disque suivant, il revint au minimalisme, à la douceur, à l’art du pointillé que nous aimons tant chez lui.

C’est dans cette veine de la nonchalance, du calme, que l’auteur-compositeur-interprète signe aujourd’hui «Promeneur». Hormis la pochette cartonnée aux couleurs kitsch, il s’agit d’une réussite, parmi les meilleurs opus du chanteur. Guitares effleurées, un peu de piano, deux violons, le velouté de la voix, les textes contemplatifs et interrogatifs… La mélodie chaloupée. Et toujours cette manière Boogaerts, qui avance avec légèreté, comme en apesanteur.

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L’art de rééditer (2)

28 octobre 2016

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La réédition n’est pas seulement une affaire de nostalgie, mais aussi de repères. Il est capital que certains disques soient de nouveau disponibles à tous, à portée de la main. Sinon, on laisse le terrain à l’oubli et aux revendeurs qui se font une fortune à revendre des pièces rares sur le marché. Et pendant ce temps, le fric ne va toujours pas aux artistes et producteurs.

Personnellement, j’aime beaucoup la collection «4 albums originaux» de Polydor/Universal. Sans flaflas, à prix modique, on reprend dans un mince boîtier de carton quatre opus d’un artiste. Il n’y a pas de livret, mais les pochettes recto et verso sont reproduites. Récemment, un coffret a été consacré à Dick Annegarn avec ses quatre premiers microsillons, dont le quatrième qui n’avait jamais été repris en cd et les autres qui devenaient rares sur les tablettes, même virtuelles. On souhaite vivement que les années 70 de Pierre Vassiliu seront bientôt ressuscitées à cette enseigne.

À souligner aussi, les artistes qui rééditent eux-mêmes, modestement mais avec soins, leurs propres vinyles en cd. Les lecteurs de ce blogue savent l’affection que j’ai pour le chanteur belge Jofroi. Il vient de sortir «Jofroi et les Coulonneux» (1975) conjointement avec EPM. La qualité sonore est au rendez-vous, puisque le numérisation a été faite à partir d’un vinyle neuf. On peut y réécouter de belles chansons comme Les aiguails, Matins d’octobre ou Lisbonne.

Maintenant qu’attend-t-on pour rééditer en cd les années 1975-1979 de Graeme Allwright? Ce qu’il a fait de meilleur : les aventureux «De passage» ; «Questions» et «Condamnés?».

Frémeaux & associés régalent les amateurs de chanson française depuis longtemps avec des rééditions de Bernard Dimey, Léo Ferré, Claude Nougaro, Serge Gainsbourg, etc. Le son est toujours bon, et les livrets riches, avec photos et textes de présentation. On apprécie.

Récemment, je vous parlais de l’exceptionnel coffret de Gérard Pierron. Il y a également un nouvel enregistrement public de Jacques Brel dans la collection «Live in Paris» (on est en France après tout!). On peut entendre l’interprète en 1960 et 1961, avec un petit orchestre. Les versions sont assez similaires à celles qu’on connaît déjà, en studio ou sur scène. On notera toutefois des différences sensibles dans Les singes, qu’il vient juste d’écrire à l’époque…

On doit aussi à Frémeaux un triple cd de Georges Moustaki et ses premiers interprètes, 1955-1962. C’était bien avant Le métèque. Il n’a pas encore trouvé son style, et parfois on le reconnaît à peine. Parmi les interprètes, on trouve Hélène Martin, Henri Salvador, Michèle Arnaud, Colette Renard, Édith Piaf (sept titres, dont Milord) ainsi qu’une belle découverte, Robert Ripa avec Jean l’espagnol.

Vous aimez les années 70, les chansons marginales et le mouvement hippie à la française? Vous adorez Fontaine-Areski en dépit du côté théâtral et du chant quelquefois strident qui expérimente? Vous retrouverez ce parfum en partie avec le duo David & Dominique. Sur ce double cd «Intégrale» 1968-1980, on trouve les vinyles originaux ainsi que plusieurs bonus (dont une poignante douzaine de chansons-journal en 1980 pour France Culture). En fouillant dans les crédits du livret, on tombe sur les musiciens qui ont accompagné Maxime Le Forestier ou Bernard Lavilliers à la même époque : Mino Cinelu, Alain Ledouarin, Patrice Caratini. Sans oublier des orchestrations signées Roland Romanelli ou Jean Musy et Richard Galliano au bandonéon. Excusez du peu! Tout n’est pas d’égale valeur, mais c’est une malle à surprises pour babas cool égarés dans ce siècle ou pour tous les explorateurs d’une autre forme de chanson. Ça nous laisse parfois baba.

Morganes de Renaud

23 octobre 2016

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Pour tous les dingues de Renaud, les disques ne suffisent pas. Ils ont envie d’approfondir le sujet, que ce soit par voyeurisme ou pour mieux comprendre l’œuvre. Récemment, les voyeurs, les touristes, se sont précipités sur l’autobiographie signée Renaud Séchan, «Comme un enfant perdu». Hélas, ceux qui connaissent bien le chanteur ont dû se demander s’il en était vraiment l’auteur, tant le style et le ton ne lui ressemblent pas. Où sont passés l’humour, la légèreté, la souplesse? À la fin de l’ouvrage, discrètement, Renaud remercie le journaliste, auteur et biographe Lionel Duroy qui l’a «accompagné, pas à pas, dans l’écriture de ce livre.» Peut-être l’accompagnement a-t-il été poussé trop loin?

Pour retrouver le vrai Renaud, celui qu’on aime depuis qu’on s’est pris en pleine gueule Manu et Me jette pas vers 16 ans, on peut aller relire les singulières et inoubliables chroniques qu’il a écrites pour Charlie Hebdo. L’éditeur Hélium les réédite. On y retrouve intégralement et dans le même ordre les deux précédents recueils («Renaud bille en tête» et «Envoyé spécial chez moi») mais on a enlevé la préface de Philippe Val ainsi que les sous-titres amusants. Dommage. Par contre, on a ajouté une quinzaine de textes inédits en volume mais qui ne sont pas tous de la meilleure encre. On a ainsi loupé l’occasion parfaite de publier d’autres chroniques de Renaud, excellentes celles-là, mais qui ne figurent désormais que sur Internet après la parution dans Charlie. D’ailleurs, au moment de la parution de son nouveau disque au printemps 2016, le chanteur a recommencé à écrire pour l’hebdo satirique, sans oublier une rubrique dans le magazine féministe Causette. Aux dernières nouvelles, il venait de nouveau de lâcher sa pige à Charlie. L’irrésistible chroniqueur de presse est une part importante de l’œuvre de Renaud, et pourtant à notre connaissance aucun ouvrage ne s’y est penché. Comment a-t-il commencé à chroniquer? Dans quel contexte? Comment se passait sa relation avec Charlie, pendant et après sa collaboration? Quelle liberté y avait-il de contredire ses confrères? Quelle influence le chroniqueur québécois Pierre Foglia a-t-il eue sur lui? Voilà des questions qui pourraient être soulevées, avec des témoignages. Qui s’y collera?

Des livres sur Renaud, il en existe plein et on continue à assaillir le marché régulièrement. La plupart du temps, ils sont d’un intérêt très moyen. Passons. Citons plutôt ceux qui sont parmi les meilleurs : le classique d’entre tous, «Le roman de Renaud» (première version) écrit par son frère Thierry Séchan dans les années 80 dans lequel Renaud ajoute des notes manuscrites dans les marges du texte. C’est délicieux, irrésistible, hilarant. On a aussi une affection particulière pour l’essai littéraire «Tatatssin, parole de Renaud!» (2006) que l’on doit à l’auteur et blogueur Baptiste Vignol, mais qui se fait plutôt rare sur les tablettes (l’ouvrage, pas Baptiste).

Vignol avait déjà fait paraître récemment une excellente biographie de Guy Béart (notre critique). Cet automne, sous le titre «Renaud, chansons d’enfer», c’est un livre tout neuf, en grand format, richement illustré de reproduction du recto des pochettes de disques, de unes de magazines et de nombreuses photos (parfois rares ou inédites comme la belle mystérieuse prise au Centre culturel irlandais en 2009). La forme du «scrapbook» le rend attrayant pour les yeux, une véritable et délectable plongée visuelle dans l’univers du chanteur, même si parfois la lisibilité du texte en souffre. Elle en devient saccadée. N’aurait-il pas mieux valu regrouper les témoignages à la fin de chacun des chapitres?

Le cœur du livre, c’est Vignol qui raconte, avec la passion et l’élégance qu’on lui connaît, le parcours de Renaud, disque par disque, chanson par chanson, entre anecdotes et Histoire. L’œuvre est examinée, mais également les idées et les contradictions de l’homme, les combats politiques ou contre les médias, les volte-face, la construction réfléchie du personnage, jusque dans la dégaine et les photos promotionnelles… Le biographe a réalisé des entretiens inédits avec des collaborateurs de Renaud (musiciens/arrangeurs/producteurs/avocat), il reproduit de nombreux extraits de passages radio ou télé, des articles de presse. Un boulot colossal. Il décortique l’œuvre, la commente avec une bienvenue érudition, la remet dans son contexte historique. Il dégote même des chansons rares dans le répertoire de Renaud qui ne figurent même pas dans son recueil de textes ou dans son intégrale cd! Même ceux qui suivent le chanteur énervant depuis 25 ans y apprendront des choses ! Si le biographe décortique Renaud jusque dans ses apparitions dans des films, pourquoi ne pas avoir consacré un chapitre aux chroniques du chanteur?

On peut déplorer que le biographe reste, sauf à de très rares exceptions, dans la description plutôt que dans la critique. On se dit que quelqu’un qui maîtrise aussi bien son sujet aurait pu se «mouiller» un peu plus, au risque de déplaire au principal intéressé et à la cohorte des partisans à tout crin. On reste dans l’éloge. Les occasionnelles remarques négatives sont généralement faites par la bouche des journalistes qu’il cite… Bien sûr, on pourrait chipoter sur certains passages : le clip Morgane de toi qualifié de «majestueux», le slam «Pour Karim, pour Fabien» qu’il prétend «inusable» (en effet, il ne s’usera pas puisqu’on ne le réécoutera jamais)… Le nouvel opus, unanimement célébré? Disons plutôt : parfois tourné en dérision, rendant même les plus rénaldiens un peu honteux et peinés… Haussons les sourcils et passons.

Cet ouvrage minutieux est une épopée de haute tenue qui devrait esbaudir même les plus morganes d’entre nous, qui en apprendront encore un peu plus sur Renaud. Merci qui? Merci, Maudit Français cher confrère. Et comme Vignol publie au rythme d’un insomniaque qui s’amuse, on ne peut que conclure : à suivre.

Francis Hébert

P.-S. Baptiste Vignol réagit et y va d’une précision dans les commentaires ci-dessous.

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Un modeste échantillon…


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