Entrevue avec Thierry Bruyère, jeune auteur-compositeur-interprète québécois.
En vingt ans à suivre la chanson dans les médias, c’est peut-être la troisième fois que je suis d’accord avec Marie-Christine Blais de La Presse. On ne me soupçonnera pas de collusion ici. Dans les disques à surveiller en 2012, Blais a parlé il y a quelques semaines de Thierry Bruyère à la radio de Radio-Canada. Elle a dû citer Dumas en comparaison. Ça m’a mis la puce à l’oreille. Pop? Romantique? Montréal dans le cœur?
Quand j’ai su qu’Émilie Proulx, folkeuse crève-cœur d’immense talent, chantait sur le premier opus de Thierry Bruyère, c’est un troupeau de puces qui m’a sauté aux oreilles. C’est une invasion à la maison. Et j’ai décidé d’interviewer électroniquement le jeune-auteur-compositeur québécois.
L’album «Le sommeil en continu» est sorti en téléchargement légal et payant avant Noël, la copie physique arrive début février. Il contient de belles choses, des mots qu’on a envie de chanter, des promesses.
Q: Quelles sont tes idoles musicales? Si on te cite Dumas, ça t’énerve?
R: Les premiers noms qui me viennent en tête et qui m’ont profondément marqué sont John Lennon et Neil Young. J’ajouterais ensuite Buffy Sainte-Marie, Indochine, Mickey 3D et Joy Division. Dumas est par ailleurs un artiste pour qui j’ai beaucoup de respect et ça ne me dérange pas du tout comme référent, au contraire, ça me touche ! Je me dis que je fais quelque chose de correct si on y voit un parallèle.
Q: Quels chemins as-tu pris pour parvenir à ce disque ? Comment voulais-tu qu’il soit ?
R: L’idée de l’album est venue après avoir rencontré Jean-Philippe Fréchette qui était juge à Granby. C’est sur le chemin du retour que j’ai réalisé qu’il s’agissait du gars derrière Navet Confit. Je lui ai donc écrit pour lui dire que sa chanson «Automne» avait été catalytique pour moi en matière de création en français (j’avais un groupe anglophone auparavant).
Lorsque l’idée a émergé qu’il pourrait réaliser mes enregistrements, nous avons regardé le stock que j’avais et avons conclu qu’il y avait matière à album, ce qui tombait bien car mes nouvelles chansons s’articulaient à mes yeux comme les diapositives d’une même présentation de voyage à Montréal.
Par la suite, Navet Confit m’a proposé de travailler avec Vincent Blain. Navet Confit avait bien vu les influences Indochine et british et j’avais vraiment le goût de faire l’album en collaboration avec ces deux individus talentueux qui comprenaient où je voulais me diriger. Des musiciens de mon projet anglophone (Polar Eyes) sont venus m’aider avec certaines chansons, j’ai eu beaucoup d’aide de Francis Do Monte (Nipone) et Navet a recruté Marc Chartrain pour la batterie. Ça a vraiment été «fait maison».
Q: Pourquoi le sortir d’abord en téléchargement payant, en indépendant? Avais-tu démarché les maisons de disques officielles auparavant?
R: Parce que nous avions essayé à plusieurs étapes d’obtenir de l’aide pour sortir l’album. Nous avons approché les maisons de disques et ce n’est pas qu’on ait eu des réactions négatives, c’est surtout qu’on n’a pas eu de réponses. Comme les vacances d’été approchaient et comme on voulait faire un album d’hiver, on n’a pas voulu attendre davantage.
L’album a donc été financé grâce à une campagne de financement en ligne IndieGoGo et nous avons eu la chance de récolter assez d’aide pour lancer l’album nous-mêmes ! On a par la suite obtenu une distribution chez DEP.
Q: Comment est née ta collaboration avec Émilie Proulx? Pourquoi elle?
R: J’avais écrit les Chemins Séparés I et II dans l’optique d’avoir une seconde partie chantée par une voix féminine qui répondrait au personnage de la première partie. Comme les chansons traitent d’un sujet qui n’est pas forcément léger, je voulais une voix féminine capable d’amener une sérénité réconfortante tout en ayant du vécu. Comme j’aime beaucoup Émilie Proulx et que Navet Confit l’avait réalisée, c’est Navet qui l’a approchée pour le projet et j’ai eu la chance qu’elle accepte ! Je me compte très chanceux d’avoir pu travailler avec elle. Elle a une voix unique qui sort d’un ailleurs tellement puissant, c’est impressionnant.
Q: Parle-moi de Montréal, de ton rapport avec elle.
R: Je suis né à Montréal, mais j’ai grandi en grande partie à Longueuil et quand j’ai commencé à vivre à Montréal ces dernières années, j’ai eu l’impression pas très scientifique mais plutôt forte que la ville baignait dans des eaux de malaise existentiel. Je regardais les photos de l’époque d’Expo 67 du père d’un ami et je me disais que des traces de tous ces rêves de grandeur subsistaient ici et là à travers la ville et qu’il fallait relayer ces rêves, même s’il n’y a plus de solution facile. Pour moi, Montréal, c’est autant tous les rêves inachevés que ses laissés-pour-compte, tous ses habitants qui viennent de tout partout et qui méritent d’être racontés.
Montréal, c’est pour moi les repères dont je parle dans «Cette ville qui vieillit» (l’oratoire, le Parc Lafontaine, les balcons, etc.), et c’est aussi les gens auxquels Gérald Godin fait allusion dans ses poèmes et à qui j’ai envie de m’intéresser.
Q: Jim & Bertand nous avait chanté dans les années 70 la chanson «Comme Chartrand». Ton morceau «Comme Simonne et Chartrand» se veut-elle une suite ? Que représentent ces deux personnages publics, ce couple, pour toi ?
R: Je vais être honnête: je suis allé écouter la chanson sur Youtube car je ne la connaissais pas. Je me rends compte que je ne connais pas très bien Jim & Bertrand, mais j’aimerais croire qu’il s’agit quand même d’une suite, étant donné que j’ai écrit ma chanson en m’interrogeant sur notre capacité, avec le temps qui passe, à s’indigner pour autre chose que pour le style, tout en essayant de rendre hommage à un couple qui est pour moi autant une inspiration que peuvent l’être John & Yoko pour plusieurs.
J’ai découvert les personnages de Simonne et Chartrand au secondaire grâce à la série télévisée et j’ai plus tard eu la chance de rencontrer Chartrand et de m’asseoir à sa table dans un pub à Longueuil et il a même payé ma bière. Pour moi, c’est un moment que je n’oublierai jamais. Chartrand fait partie d’un tandem qui est une référence en matière de passion, de persistance et d’implication pour les bonnes raisons. En fait, je pourrais dire pour LA bonne raison. C’est peut-être quétaine, mais la bonne raison, c’est l’Amour, sous toutes ses formes.
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Thierry Bruyère, Le sommeil en continu