
Entretien avec le dessinateur Mathieu Sapin.
Né en 1974, Mathieu Sapin est un bédéiste français, qui œuvre à la fois pour le jeune public et les adultes. En 2010, il publiait l’extraordinaire «Feuille de chou (journal d’un tournage)» qui racontait avec humour et tendresse les coulisses du film «Gainsbourg (vie héroïque)» de son ami Joann Sfar. Sapin a remis ça cette année avec le tome 2, consacré à l’après-tournage.
Pas besoin de s’intéresser à la bédé pour apprécier ces carnets. Même pas besoin d’avoir aimé le film. «Feuille de chou» est tout simplement une aventure d’écriture réjouissante.
C’est dire notre bonheur d’apprendre que Mathieu Sapin retrouvait ses fringues de dessinateur-reporter pour cette fois-ci plonger dans le milieu du journalisme avec «Journal d’un journal». Il a infiltré le quotidien français Libération pendant quelques mois. Certaines planches ont été déjà publiées sur son blogue. Les voici réunies dans un ouvrage.
On a contacté l’auteur pour une entrevue par courriel.
Q : D’où est venue l’idée de faire un carnet de tournage sur Gainsbourg (vie héroïque), puis un autre sur le quotidien Libération?
R : Dans les deux cas l’idée n’est pas venue de moi. Pour le journal d’un tournage, Lewis Trondheim m’a suggéré de suivre cette aventure et j’ai accepté en pensant en tirer un «petit» bouquin de 80 pages. À la fin de l’aventure j’en avais écrit cinq fois plus tellement j’ai été passionné par ces quatre mois de tournage. Sur place j’ai rencontré beaucoup de personnalités fortes et intéressantes. Jérôme Brézillon est l’une d’elles. Il est photographe. Il travaille pour la presse et était photographe de plateau sur «Gainsbourg (vie héroïque)». C’est lui qui, l’hiver dernier, m’a proposé de venir enquêter sur les coulisses de Libération. C’est un journal pour lequel il travaille régulièrement. Il m’a pris rendez-vous avec la direction et le tour était joué.
Q : Dans les deux cas, quelle est la marge de manœuvre? Liberté totale? Autocensure? Est-ce qu’il y a eu des moments où certains «personnages» de vos carnets vous ont demandé des changements?
R : J’ai eu toute liberté pour aller où et quand je voulais. L’accueil a été très bienveillant. Ensuite c’était à moi d’estimer ce qui pouvait être intéressant et ce qui pouvait poser problème. Dans le cas de «Journal d’un tournage», j’ai dû tenir compte de nombreuses notes de relectures opérées par la production qui craignait que certains des propos que je rapporte puissent causer des préjudices à certaines personnes. J’ai dû en tenir compte et raturer certains bouts de phrases. J’ai préféré rayer plutôt qu’enlever car je tiens à ce que le lecteur sache qu’il y a là une information à laquelle il n’a pas accès. C’est un peu frustrant mais plus honnête à mes yeux. Pour «Journal d’un journal», j’ai eu beaucoup moins de choses à changer. Certains journalistes m’ont demandé de modifier légèrement leurs propos mais ça concernait très peu de pages.
Q : Combien de temps avez-vous passé dans les bureaux de Libé? Y alliez-vous tous les jours?
R : Il s’est passé six mois entre mon premier contact avec Laurent Joffrin et la fin de mon carnet. Il y a eu quatre mois pendant lesquels je suis allé très régulièrement au journal. Pratiquement tous les jours si l’on compte les jours où je suivais des reporters en déplacement.
Q : Avant de plonger dans les coulisses de Libé, étiez-vous un fidèle lecteur du journal, un grand consommateur d’informations?
R : Je n’étais ni l’un ni l’autre. Ma «méthode» consiste à tenter de s’immerger le plus possible dans un milieu auquel je ne connais rien. Ainsi je conserve un oeil neuf (certains pourraient dire «candide»).
Q : Votre manière de travailler sur Journal d’un journal a-t-elle été la même que pour les Gainsbourg? À partir de notes, de photos et de dessins?
R : La méthode de travail était rigoureusement la même. J’ai utilisé les mêmes carnets (qui ont le même format que le format d’impression). Je prends des notes directement dedans et je prends des photos numériques pour compléter les pages dans un deuxième temps. Je m’aide également d’un dictaphone, voire d’une mini-caméra pour enregistrer certaines situations. Les pages sont constituées au fur et à mesure dans mon carnet si bien qu’il y a peu de différences entre le carnet original et le livre imprimé. Les couleurs sont faites à l’aquarelle directement dans le carnet. Pour «Journal d’un journal», j’ai opté pour un découpage en chapitres thématiques qui me semblait plus clair.
Q : Pourquoi vous mettre vous-même en scène dans les carnets et, surtout, de manière toujours un peu dérisoire? Vous ne vous donnez pas le beau rôle…
R : C’est une manière de faire porter le ridicule autant sur moi que sur les autres. C’est un bon moyen également d’entrer dans l’histoire et de voir les choses avec les yeux d’un novice.
(À suivre…)
Mathieu Sapin, Journal d’un journal, Delcourt, collection Shampooing.
Sortie française le 21 septembre. En vente au Québec autour du 21 octobre.
Le blogue de l’auteur consacré à ces carnets : http://journaldunjournal.blogs.liberation.fr/sapin/
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