Archive for août 2011

La discothèque idéale # 4

27 août 2011

Jean-Pierre Ferland, Écoute pas ça (1996)

Si Jaune (1970) est un des plus grands disques québécois de tous les temps, c’est en partie dû aux arrangements musicaux époustouflants, aux musiciens américains invités, au réalisateur André Perry. À la base, il y avait de bonnes chansons mais elles sont propulsées dans un voyage musical inouï et jamais égalé.

Par contre, lorsqu’on parle d’albums de « pures » chansons, dont le plaisir provient essentiellement du mariage entre les paroles et la mélodie, le meilleur Ferland, vital à toute discothèque de chanson franco, c’est Écoute pas ça, paru en 1996.

Un recueil acoustique, un festin de guitares. La perfection du début à la fin : La musique; Il faut des amoureux; Je ne veux pas dormir ce soir; After Shave; Une chance qu’on s’a. Nommez-les toutes. C’est un collier de perles scintillantes et chaudes. Une bouffée d’air. Un moment de grâce.

À une époque où on ne croyait plus en Ferland, après le décevant Bleu blanc blues, il a offert à la chanson francophone un diamant indestructible : Écoute pas ça.

Avec Jaune, c’est ce que Ferland a su faire de mieux. À la démesure sublime de Jaune, il a opposé le dépouillement, la sobriété de Écoute pas ça.

À se repasser à l’infini.

(billet publié le premier décembre 2006)

Biolay, le malentendu

25 août 2011

Il existe un malentendu autour de Benjamin Biolay. Son dernier album original, La superbe (2009), a séduit public et critique.

Mais il faut dire quel public exactement. Essentiellement les gens qui n’aimaient pas Biolay ou qui n’écoutaient pas de chanson française. Ceux qui le connaissaient et l’appréciaient depuis ses débuts en 2001 avec le mélodique, langoureux et mélancolique Rose Kennedy ne s’y retrouvaient pas dans ce mélange de hip hop, de pompeux arrangements, de textes plus parlés que chantés (Serge Gainsbourg, m’entendez-vous?).

Pour ceux qui adoraient Biolay depuis 2001, La superbe était globalement ennuyeux, inutile.

Un jour, en entrevue téléphonique, il me confiait que les costumes chic qu’il portait à ses débuts étaient en fait un déguisement qu’il avait endossé pour se distinguer, coller à son nouveau personnage…

Voilà un autre artiste qui racole les modes, suit l’air du temps, tout en se donnant une image de rebelle soigneusement négligé.

Ça ne lui enlève pas son talent. On attend toujours avec espoir une suite à son groupe Home (formé avec Chiara Mastroianni). Il avait réalisé un excellent disque pour Valérie Lagrange (Fleuve Congo; 2003).

En attendant, Biolay nous sert la bande originale Pourquoi tu pleures?, qui pourrait plaire aux amateurs de La superbe, mais qui laissera probablement indifférent les autres…

À chacun son Biolay.

Trop nuls, on ne vous en parle pas (2)

24 août 2011

Le magazine français Technikart vient de sortir une nouvelle formule avec toujours autant de jolis mots empruntés à Molière: La life, La story, etc. On applaudit. Il pique même au Québec (vive Internet qui permet la transmission de notre belle culture) «checker»…

Hélas, il abandonne du même coup sa rubrique «Trop nuls, on ne vous en parle pas». C’est donc sans vergogne que j’en publie une version personnelle, pour la deuxième fois.

Trop nuls, on ne vous en parle pas (2)

-la version soi-disant augmentée de la biographie de Maxime Le Forestier, Né quelque part (2011)

-Stefie Shock, La mécanique de l’amour

Gainsbourg dans Mad Men

22 août 2011

Babatunde Olatunji

Si vous suivez la série américaine Mad Men, qui ne cesse de s’améliorer après une saison 1 assez lourde, vous savez que l’action se déroule dans les années 60, dans le monde des publicitaires et que la reconstitution historique est très soignée. On y fait souvent référence à des personnages historiques (Kennedy par exemple).

Or, dans l’épisode sept de la saison 2 (The Gold Violin), on entend une publicité à la radio pour une marque de café. Les amateurs pourront reconnaître aisément la chanson Couleur Café de Serge Gainsbourg, adaptée en anglais pour l’occasion.

Stupéfaction: quoi, Gainsbourg aurait copié ici aussi? On se rappellera que sur le même disque, Percussions (1964), il a pompé quatre morceaux (dont trois à l’Africain Babatunde Olatunji, New York USA; Marabout et Joanna)…

Le problème c’est que cette saison 2 est censée se dérouler en 1962.

Erreur des créateurs de la série? Ou Gainsbourg encore pris la main dans le sac?

Pour en avoir le coeur net, j’ai écrit à Gilles Verlant, biographe officiel et spécialiste de Gainsbourg. Il m’a répondu que c’est bien Mad Men qui a voulu donner un coup de chapeau au chanteur.

C’est amusant, mais n’auraient-ils pas pu attendre qu’ils soient rendus à 1964, afin que la crédibilité historique perdure?

La discothèque idéale # 3

17 août 2011

Étienne Daho, Corps et armes (2000)

Après l’album « Paris ailleurs » et sa collection sidérante de tubes (Saudade, Comme un igloo, Des attractions désastre, etc.), Étienne Daho accouchait en 1996 de l’électro « Eden », superbe disque mais qui n’eut pas le succès attendu.

Quatre ans plus tard, c’est un Étienne Daho heureux qui sortait le sublime «Corps et armes », sans doute sa plus grande réussite. Une série de chansons pop parfaites, portées par les somptueux arrangements de cordes, une co-réalisation de Daho et du groupe Les Valentins.

Ça commence par un morceau à couper le souffle (Ouverture) sur la rencontre amoureuse entre deux individus ou entre un chanteur et son public. Au choix de l’auditeur. Les textes de Daho sont ouverts, à l’air libre.

Plus que jamais dans ce disque, on respire. Les chansons baignent dans un climat de félicité, elles demeurent simples en dépit des drapés de velours dont elles sont parées. Elles collent à la mémoire, mais ne lassent pas.

Un précieux chef-d’oeuvre moderne, indémodable.

(billet publié le 6 novembre 2006)

Allain Leprest RIP

15 août 2011

JM Vignau - Libération

Le grand Allain Leprest vient de s’éteindre, à 57 ans. La rumeur du Net parle de suicide. Il était atteint d’un cancer du poumon.

Il était un des plus talentueux auteurs-interprètes de sa génération, de plein pied dans la tradition de Brel. Comme son aîné, il bidouillait admirablement la langue française, il s’enracinait dans la scène.

L’écouter sur disque, le voir sur les planches était un régal.

Il a eu de grands interprètes (Juliette Gréco, Francesca Solleville, Romain Didier, Isabelle Aubret, etc.)… Depuis quelques années, on lui a consacré des albums hommage («Chez Leprest» volumes 1 et 2 ou en 2011 «Les amis d’Allain Leprest»). Au menu, pour reprendre ses textes: Daniel Lavoie, Olivia Ruiz, Jacques Higelin, Michel Fugain, Gilbert Laffaille, Jean Guidoni, Clarika, Jehan, Adamo, Alexis HK, Gérard Pierron, Kent, Isabelle Mayereau, etc.

Leprest parti, c’est une certaine idée de la chanson française qui perd un de ses meilleurs représentants.

En attendant de le retrouver ici dans ma discothèque idéale en reprise, on pourra réécouter avec plaisir ses plus beaux disques: «Voce a mano» (1992) avec Richard Galliano à l’accordéon, l’album en public «Il pleut sur la mer» (1995) ainsi qu’une flopée de chansons magnifiques égrenées ici et là (Édith; La dame du dixième; Le poing de mon pote; Le dico de grand-mère; Garde-moi la mer; etc.).

On espère également que les éditeurs de Leprest (pour la bio chez Christian Pirot ou son recueil de textes «Chants du soir» chez Folie d’encre) aient la bonne idée de publier un livre avec les articles qu’il a écrits dans les années 80, notamment sur le Tour de France qu’il a suivi en amateur gourmand.

Il paraît que Leprest devait les deux L de son prénom à une erreur administrative. Qu’importe. Son nom restera parmi les légendes de la chanson française.

Je hais les jeunes filles

13 août 2011

«Je hais les jeunes filles», c’est une anthologie du magazine féminin français 20 ans publiée récemment aux Éditions rue Fromentin, confectionnée par Marie Barbier.

Mais attention, il s’agit essentiellement de sa période 1992-2003 dirigée par la rédactrice en chef Isabelle Chazot. Sa grande époque, paraît-il. Bénie. Les ventes montaient en flèche. Les lecteurs et collaborateurs semblaient vénérer ce 20 ans-là, tant il est vrai qu’un changement d’équipe ou de propriétaire peut vous saper un journal, le traîner vers le bas, le plus populaire, le moins critique…

Pour ce 20 ans-là, on parle d’irrévérence, de non conformisme, d’humour. Sur la couverture, on donne un aperçu des sujets traités et ils sont fort alléchants. Extraits choisis:

(1993) Êtes-vous frigide? – Vivre grosse – Peut-on violer un mec et comment

(1994) Moche et sexy, ceux qui préfèrent les vilaines

(1995) 50 raisons de ne pas suivre des cours de théâtre – Êtes-vous une petite vicieuse?

(1996) 40 plans minables pour garder un mec

Vaste programme. Le ton est là, la dérision, omniprésente. Enfin un style qui plaira à ceux qui ne lisent pas la presse féminine.

Or, la déception guette. Ce serait trop beau. D’abord, pratiquement aucun des articles cités en couverture ne sont repris dans le livre! Et comme il n’y a pas de table des matières, on ne peut s’en rendre compte qu’en le lisant. Seule environ la moitié des 241 pages reprend des textes du 20 ans d’époque. Le reste est consacré à l’histoire de la revue, aux témoignages des collaborateurs ou lecteurs. Des plumes connues ont écrit dans le magazine: Alain Soral, Simon Liberati. On a tendu le micro très tôt à Michel Houellebecq, à Bertrand Burgalat.

Ça laisse sur notre faim. On nous raconte longuement à quel point ce journal était formidable, mais les articles qu’on nous donne comme preuves n’arrivent pas souvent à convaincre. On se sent floué.

Enfin, je parle pour ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas 20 ans et voulaient utiliser ce livre comme séance de rattrapage. Trop de blabla, pas assez d’articles reproduits.

C’est dommage car certains textes sont tout de même très bons. On y trouve une entrevue hilarante avec le comédien Albert Dupontel, qui semble consterné par la bêtise (volontaire) des questions qu’on lui pose. C’est ainsi que l’on se rend compte que Technikart n’a rien inventé avec sa rubrique «Une interview mal préparée donne toujours un mauvais papier».

Un des sommets de cette anthologie est une chronique de Diastème (devenu depuis écrivain aussi, comme Liberati) de 2002 intitulée «Zéro Trois».

On referme ce bouquin avec l’impression que 20 ans avait effectivement une démarche originale, contestataire (contre la surconsommation, la pensée molle, le conformisme), bellement et joyeusement féministe.

C’était salutaire. Ça le serait encore. À quand une nouvelle anthologie, plus copieuse, pour le prouver?

Alex Beaupain, musicien bien-aimé

12 août 2011

La nouvelle trame sonore d’Alex Beaupain est sortie lundi en France (en négociations pour le Québec, mais déjà dispo sur iTunes Canada). Ça s’appelle Les bien-aimés. Le film signé Christophe Honoré sort prochainement sur les écrans français. À Montréal, on ne saurait dire. Les délais peuvent varier de six mois à un an, voire jamais. Malgré la présence de Catherine Deneuve au Festival des films du monde, qui lui rend un hommage en présentant des vieilleries, Les bien-aimés n’est pas au programme… Un si parfait sens de l’organisation, on ne retrouve ça qu’aux Francofolies de Montréal et au Coup de coeur francophone…

Beaupain est un habile compositeur de musiques de films. Il l’avait prouvé avec Les chansons d’amour ainsi qu’avec la très belle partition de Non ma fille tu n’iras pas danser. Avec Les bien-aimés, il signe une dizaine de très bonnes chansons (et 3 ou 4 plus quelconques). Léger, pop, mélancolique, fidèle à ses manières habituelles.

Le bonheur, ici, c’est que c’est Chiara Mastroianni qui chante la plupart des chansons. On avait aimé Chiara en duo avec Benjamin Biolay (le projet Home, en préparation d’un second disque). Dans Les chansons d’amour, elle était bouleversante dans Au parc. Vif plaisir de la retrouver.

On peut également entendre sur la bo Catherine Deneuve, Louis Garrel, Ludivine Sagnier, convaincants.

Un album à écouter encore et encore, en attendant la pellicule qui vient avec.

Gainsbourg, l’aquoiboniste

7 août 2011

C’est une chanson de Serge, chantée dans les années 70 par sa Jane. Elle est désabusée, magnifique, une perle:

«C’est un aquoiboniste / Un faiseur de plaisantriste / Qui dit toujours à quoi bon»

Un aquoiboniste, la belle trouvaille. Du pur Gainsbourg, pensions-nous. Pourtant, non. En parcourant le livre «Serge Gainsbourg, l’intégrale et caetera – Les paroles 1950-1991», recueil de plus de 650 textes dans une édition érudite d’Yves-Ferdinand Bouvier et Serge Vincendet, on remonte le temps. Jusqu’en 1893 où Maurice Donnay signe la chanson «Le jeune homme triste», créée un peu plus tard sur disque par Yvette Guilbert. Et ça se chante ainsi:

«Alors il se dit « À quoi bon? » / Mais pour être un aquaboniste / Hélas! il n’en fut pas moins triste»

Hum…

No comment?