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Bruno Marcil: se recentrer

21 janvier 2019

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Comédien et auteur-compositeur-interprète, le Québécois Bruno Marcil avait fait paraître son premier opus en 2007 (lire ma critique de l’époque). On y trouvait de bonnes choses, mais diluées dans de la pop et de l’humour

Une décennie passe. On peut voir Marcil au théâtre, au cinéma et à la télé (Mémoires vives, Les Invisibles, etc.). Et fin 2018, il publie sur Internet «Les marches lentes», un très beau deuxième album. Métamorphose remarquable: il se recentre désormais sur la chanson folk, tendue de  mélancolie, avec quelques bouffées plus légères et de critique sociale pleine de compassion.

On l’a tellement aimé que l’on a décidé de lancer à l’artiste quelques petites questions rapides par courriel. «Les marches lentes» n’est disponible ni en cd ni en vinyle, mais on peut l’écouter (et l’acheter!) intégralement sur sa page Bandcamp. Notons un duo avec Ariane Moffatt.

Il faudra s’y faire. Désormais, nous vivons dans un monde virtuel… Mais en 2019, on peut au moins se balader avec cette collection de chansons tendres dans les oreilles.

 

1) Onze ans ont passé entre ton premier et ton second album. Est-ce que c’est ton métier de comédien qui t’a tenu si occupé? Pourquoi le sortir finalement maintenant?

BM: Le métier de comédien m’a effectivement beaucoup occupé en plus de mon métier de papa. Mais malgré tout, au long de ces années, j’ai accumulé un certain nombre de chansons. Une direction franche et sensible s’est imposée. Philippe Brault et moi avons donc amorcé un travail de studio mais sans se fixer de délais ni d’intention autre que celle d’aller au bout de la proposition. Il fallait que ça reste sincère et épuré. C’était aussi une occasion pour Philippe et moi de passer de magnifiques moments entre amis à faire de la musique.

2) Sur ce nouveau disque, on remarque que tu quittes la pop et l’humour pour te recentrer sur le folk plus intimiste et mélancolique. Comment ce virage s’est effectué?

BM: Sur mon premier album, on peut retrouver plusieurs morceaux qui touchent à cette écriture simple et sensible. Malgré tout, j’étais plus jeune et peut-être plus assoiffé que ma musique soit entendue par le plus grand nombre. J’ai donc essayé de faire coller des pièces à un univers plus emprunté à la pop. Ça donnait un album moins cohérent mais malgré tout, certains morceaux me sont encore très chers.

3) Justement, qu’écoutais-tu comme musique en 2007 et en 2018?

BM: J’écoutais sûrement du Bashung que j’aime profondément. Particulièrement le Bashung de L’imprudence (l’album En amont sorti après sa mort et sans son accord m’a déplu pour plusieurs raisons). J’ai toujours écouté beaucoup de musique il est donc difficile pour moi de trancher. Mais certains albums me suivent depuis plusieurs années. Eliott Smith (Either\Or), Robert Johnson, Isobel Campbell et Mark Lanegan (Ballad of the broken seas), James Blake, Tom Waits, Bon Iver. Plus récemment, l’extraordinaire album Carrie & Lowell de Sufjan Stevens m’a tellement apporté de chaleur. Avec pas d’casque est pour moi un incontournable des dernières années au Québec. Je découvre aussi Emma Louise avec son Lilac Everything.

4) Pour des raisons financières, ton nouvel album ne paraît qu’en format numérique. Avais-tu démarché des maisons de disques?

BM: J’avais approché deux maisons de disques mais sans vraiment y donner suite. Je n’étais même pas convaincu de vraiment vouloir sortir l’album. Toute l’énergie que demande la sortie d’un album et le bruit qu’on doit faire pour intéresser les gens, tout ça est bien loin de la musique elle-même. Je l’avais déjà fait en 2007 et ça ne me tentait plus. De l’attention et des projets artistiques forts, j’ai la chance d’en avoir déjà beaucoup. Mais comme j’aime profondément cet album et que je sentais qu’il allait s’évanouir et peut-être même emporter tout mon amour pour la musique avec lui, j’ai finalement décidé de le sortir. Mais je n’avais pas envie de faire de remous. C’est un album tellement intime que j’avais une pudeur réelle à le sortir au grand jour. Ça explique peut-être le manque d’ambition que j’ai eu à son égard avant sa sortie. C’est suite aux multiples commentaires si touchants que j’ai reçu d’un peu partout que j’ai repris confiance et eu envie de le pousser d’avantage.

5) Comment juges-tu notre réalité artistique actuelle dans laquelle le virtuel prédomine? On ne loue plus de DVD, on n’achète plus de disques physiques, on lit sur des tablettes plutôt que des livres… Suis-tu toi aussi cette tendance?

BM: Je dirais que je suis ambivalent sur cette question. Je n’ai jamais eu d’attachement pour les CD. L’objet lui-même est sans âme alors que j’aime vraiment le vinyle. Les heures que j’ai passé enfant à regarder certaines pochettes de vinyle… C’est pourquoi je peux écouter des tas d’albums de façon numérique mais certains albums, je les veux en vinyle. Même chose pour les livres. Certains romans peuvent faire une excellente lecture de nuit sur tablette, mais d’autres imposent une version papier.

6) Comptes-tu faire des spectacles avec ces nouvelles chansons?

BM: Avec Philippe Brault, on regarde pour fixer une ou deux dates précises pour faire un spectacle. Probablement en mai. 

7) Quelle place occupe ton travail d’auteur-compositeur-interprète par rapport à celui d’acteur?

BM: Mon rapport à la musique a toujours été un rapport très intime mais aussi, un désir et une façon de communiquer avec mes semblables. Il rejoint en ce sens le travail de l’acteur. Mais dans le contexte musical, c’est mon propos que je mets de l’avant. Je deviens l’auteur, le metteur en scène et l’interprète. Clairement pour moi, ces deux métiers sont toujours très reliés et se nourrissent constamment l’un et l’autre.

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Traversées (6)

16 janvier 2019

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Il faut bien l’avouer: parmi les chanteurs vivants, Jofroi est notre Belge préféré, bien qu’il habite en France depuis belle lurette. Préféré? Enfin, presque: il y a Julos Beaucarne qui le côtoie dans notre coeur d’amoureux de la chanson poétique et artisanale. Ça tombe bien. Sur son nouvel album original, Jofroi reprend un classique beaucarnien, Le petit royaume.

Voici un disque qui commence majestueusement avec  Habiter la terre. Les émouvants arrangements de Line Adam, la souplesse de la plume du chanteur. Une splendeur. Cette chanson sera un nouveau point de repère dans son oeuvre.

Au gré du violon, du piano, des guitares ou de l’accordéon, Jofroi nous offre un voyage humaniste, préoccupé socialement et écologiquement. Mentionnons la richesse également du livret, avec photos, paroles et textes de présentation.

Cet opus nous aidera à patienter en attendant les deux dernières et indispensables rééditions promises pour ses microsillons de 1978 et 1979.

En fermant les yeux, on peut écouter Habiter la terre ici.


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Du côté d’Aram, pas de réédition prévue alors il nous offre un nouvel album qui mélange de vieilles chansons réenregistrées pour l’occasion et des inédites. Mais soyons francs: depuis qu’il a repris son nom complet, Aram Sédèfian côtoie les cimes. Tout: la voix, les arrangements, l’écriture, le chant. Depuis 1997, on est émerveillé par ses chansons, encore plus qu’à ses débuts. Autant son premier 33-tours paru chez Saravah en 1976 mériterait d’être réédité tel quel, autant ses réenregistrements ne déméritent pas. Et ça, c’est rare.

À l’automne, il a fait paraître «Des jours et des heures», sous une jolie pochette cartonnée bleue. Bleue comme une mer chaude, pour envelopper des chansons aux parfums orientaux, gourmands. Aram a même le bon goût de mettre en musique et chanter le fameux poème de Gérard de Nerval, Fantaisie… «Il est un air pour qui je donnerais/Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber/Un air très vieux, languissant et funèbre/qui pour moi seul a des charmes secrets»…

Un extrait du nouveau cd ici

 


On change complètement d’univers avec le troisième album de l’auteure-compositrice-interprète Salomé Leclerc, probablement la meilleure production québécoise en 2018 avec Monsieur Mono.

Succinct, «Les choses extérieures» regorge de sensualité pop de bout en bout. L’alliance entre la voix frémissante et les guitares électriques rappelle parfois Françoise Hardy (période «Le danger») ou la jouissive actrice-chanteuse Jeanne Balibar.

Exceptionnellement, regardons un clip pour apprécier le travail de la chanteuse, dans sa simplicité, sa douceur, son rayonnement… Et ne négligeons pas d’admirer cette pochette parfaite, candide et charnelle.

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