Archive for octobre 2017

Tire le coyote: l’âme du Loner

17 octobre 2017

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On le convoitait depuis longtemps, il est arrivé : le quatrième album original de Tire le coyote, deux ans après l’admirable «Panorama». Sur «Désherbage», l’auteur-compositeur-interprète québécois s’éloigne parfois de son folk pour explorer discrètement la pop ambiante, avec des accents occasionnellement progressifs.

Il est difficile de parler de Tire le coyote sans évoquer Neil Young, alias le Loner (le solitaire). Benoît Pinette ne chantait-il pas lui-même dans Aux abords du fleuve : «Au monde entier, j’fais mes adieux/J’ai l’âme d’un Loner»… Le Québécois a clairement beaucoup écouté son aîné canadien, ça s’entend. Et puis quelques jours à peine avant l’entrevue, Young sort justement lui aussi un nouveau disque admirablement acoustique («Hitchhiker» ; des enregistrements de 1976), que Pinette s’est empressé d’écouter et de commander en vinyle : «C’est vraiment bon! Ça fait du bien de le retrouver comme ça! En plus, ce sont ses meilleures années en terme de performance scénique.» Fidélité et passion.

De Neil Young, Tire le coyote semble également s’inspirer pour son parcours musical, puisqu’il cherche lui aussi à s’éloigner des guitares sèches du folk, un style qu’ils maîtrisent tous deux merveilleusement : «Pour le nouvel album, j’avais envie d’aller aux antipodes, aux extrêmes. Panorama avait des racines américaines folks. Cette fois, je voulais délaisser un peu le côté country. L’effet de la guitare électrique est très conscient. Je pense davantage à la scène que je ne le faisais avant. Quand on joue sur scène, c’est l’fun d’avoir des moments intimistes mais aussi d’autres où ça déménage un peu. Pour le nouvel album, il y a l’apport de Vincent Gagnon aux claviers. Ça devient plus électrique mais aussi plus ambiant, avec des sons perdus dans l’écho, plus planant. C’est quelque chose que je voulais. Par exemple, le dernier disque de Sufjan Stevens a des moments ambiants qui sont hallucinants.» Pinette a aussi fait appel à Simon Pedneault, guitariste de Louis-Jean Cormier et Patrice Michaud.

Les chansons de «Désherbage» ont été écrites de manière intensive à l‘automne, puis enregistrées en avril 2017 : «J’arrive en studio avec des chansons déjà construites, mais c’est en gang qu’on décide où on va les mener. Pour les deux précédents disques, c’était moi qui m’étais chargé de la réalisation : je dirigeais davantage, en sachant ce que je voulais. Cette fois-ci, je me suis fait un devoir de me restreindre et de laisser les gars aller», dit-il de ses musiciens et de ses co-réalisateurs Gagnon et Pedneault. «Je voulais qu’ils m’emmènent ailleurs, qu’ils poussent la chose un peu plus loin. Honnêtement, ça a été difficile de les laisser faire, mais en même temps, je ne me suis pas complètement effacé!», admet-il en riant. Pinette s’est justement effacé sur le projet des Cowboys Fringants, «Nos forêts chantées», livrant sa chanson guitare-voix et en ne participant pas du tout aux arrangements qu’on a par la suite collés dessus. Alors que pour sa reprise radiophonique et francisée de la chanteuse pop américaine Lana Del Ray, c’était une commande aussi mais c’était son choix d’artiste, de chanson et d’arrangements. Il a tellement aimé le résultat qu’il l’a incluse sur le nouveau disque.

Tire le coyote est une âme solitaire qui s’entoure de gens créatifs, mais qui pourrait bien nous surprendre avec un projet solo et intimiste, un jour ou l’autre.

Francis Hébert

(pour L’entracte de novembre 2017)

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Barbara, pianissimo

11 octobre 2017

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Il automne, et il sera Barbara. Livres, rééditions, émissions de télé, et un film attendu avec Jeanne Balibar dans le rôle de la chanteuse. Dans cette avalanche, il ne faudrait peut-être pas louper le projet du pianiste de musique classique Alexandre Tharaud.

On savait Tharaud amateur de chanson française. Il lui avait même déjà consacré un spectacle en duo avec Albin de la Simone. Ce dernier est justement présent sur le double cd que Tharaud fait paraître. Sur «Barbara», il a convié des chanteurs pour accompagner ses volutes de piano. Parmi les réussites, citons Dominique A (Cet enfant-là), Camélia Jordana (Septembre), Vanessa Paradis (Du bout des lèvres), Jean-Louis Aubert (Vivant poème), Tim Dup (Pierre), Jane Birkin (Là-bas), Albin de la Simone (C’est trop tard) et Juliette Binoche (qui récite Vienne, une des plus belles chansons de Barbara, jadis sublimement interprétée par William Sheller). Il y a aussi quelques choix moins heureux: Bénabar, Radio Elvis, Rokia Traoré ou Luz Casal.

On le voit, le choix des titres et des interprètes est loin de l’exercice convenu. Tharaud connaît sa Barbara sur le bout des doigts, et on lui en sait gré de réunir une aussi jolie pléiade d’artistes.

Mais Tharaud est d’abord un instrumentiste classique. Il adjoint un deuxième cd sur lequel il reprend au piano une Barbara sans paroles (hormis quelques mots de Binoche). Ce court disque instrumental intitulé «Écho» frémit de sensibilité, de créativité. Le pianiste a convié Michel Portal à la clarinette et Roland Romanelli à l’accordéon, deux musiciens qui jouaient avec Barbara… Ça s’appelle avoir de la mémoire.

Un hommage sincère et pudique, généreux. De plus, l’emballage est soigné: des photos, un livret français/anglais/allemand. Le texte de présentation est signé Tharaud lui-même.

Il prépare un hommage scénique à Barbara avec Juliette Binoche qui lira des textes de la chanteuse (mauvaise idée de lire des paroles de chansons, ce n’est pas fait pour ça!) et des extraits de son journal inachevé (ça, c’est beaucoup plus pertinent). Ce spectacle «Vaille que vivre» doit tourner en France et à l’étranger dans les prochains mois.

Barbara continuera longtemps à se promener en nous, pianissimo.

 

T’es vivant?

7 octobre 2017

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Faire des listes, c’est amusant, c’est ludique, c’est badin. Il n’y a que les vieux ronchons nostalgiques qui font la gueule, pendant que les autres débattent, s’indignent, s’émerveillent ou font des découvertes. Et même lorsqu’une liste est consternante de mauvaise foi et d’ignorance (à tout hasard celle des Inrocks sur la chanson française), elle reste stimulante pour nos neurones.

J’ai eu envie de dresser la liste non pas des cinq meilleurs enregistrements en public de la chanson française, mais de mes cinq préférés. On va se garder une petite gêne, un semblant de modestie. Je vous invite dans les commentaires à me faire part de vos choix.

Pour qu’un live soit intéressant, à mon sens, il faut que la foule ne se fasse pas trop entendre, que l’artiste ne blablate pas trop entre les morceaux, que le répertoire couvre une large période. Et si, en prime, on a des inédits jamais repris en studio, le bonheur est complet.

  1. Bernard Lavilliers, T’es vivant? (1978)

Olympia de Paris, mars 1978. L’inspiration de Lavilliers tutoie les sommets, et ses interprétations ont une puissance encore plus grande ici qu’en studio. Il dynamise Juke-box; Fauve d’Amazone; Les barbares; 15e round; Utopia; etc. Des inédits: Capoeira, et l’improvisation incandescente Soleil noir. Sans oublier une de ses chansons les plus déchirantes de toute sa carrière: Sax’aphone. On ignore si le cd de 73 minutes reprend l’intégralité du spectacle, mais on espère que non et qu’un jour on aura droit à une version complète deluxe.

2. Alain Souchon, Défoule sentimentale (1995)

Que dire? Deux décennies de carrière, qu’il revisite de manière explosive et émotivement juste. Et toujours meilleur qu’en studio. C’est particulièrement vrai pour Chanter, c’est lancer des balles; Manivelle; Les regrets; Courrier; Lettre aux dames; Somerset Maugham; Allo maman bobo; etc. Et ça termine sur un fil avec Les filles électriques. Qui laisse pantois. K.O.

3. Jacques Bertin, Café de la danse (1989)

C’est sur scène que Jacques Bertin est à son meilleur, là où il est le plus dénudé et investi. Les  arrangements studio le desservent la plupart du temps, depuis les années 80. Au Café de la danse, il magnifie ses propres chansons, reprend Ferré ou Mouloudji, crée Les nouvelles du soir et il donne une version magistrale de Les chants des hommes, une des plus belles chansons françaises de toute l’Histoire, spécialement dans cet enregistrement.

4. Étienne Daho, Live (2001)

Ses années 80 ont bigrement mal vieilli. Le Daho que j’aime (comme le Bashung d’ailleurs) commence au début des années 90. Daho atteint presque la perfection avec «Corps et armes» en 2000, avec Ouverture en apogée. Cet opus essentiel, il en interprète de larges parts sur ce double cd en public. Mais il n’oublie pas ses classiques nettoyés des arrangements d’origine: Le grand sommeil; en tête. On éprouve un réel plaisir à retrouver ainsi, épurées, ses Week-end à Rome ou Duel au soleil. Et on ne passera pas sous silence la vibrante interprétation de Sur mon cou, un texte de Jean Genet, musique d’Hélène Martin. Éclectique, raffiné et pop, ce très cher Étienne.

5. Maxime Le Forestier, Plutôt guitare (2002)

On ne le dira pas trop fort, mais Maxime Le Forestier a eu lui aussi sa part d’arrangements trop chargés, synthétiques. D’où ce double cd attrayant, où il rechante ses classiques accompagné uniquement par des guitaristes principalement acoustiques: Jean-Félix Lalanne, Manu Galvin et Michel Haumont. Bienheureuses chansons d’être ainsi portées par de tels musiciens. On savoure Comme un arbre; San Francisco; La visite; Ambalaba; Les deux mains prises; etc. Mais comme pour Lavilliers, on en aurait pris encore davantage. C’est un bon signe.

P.-S. En mettant un point final à ce billet, je me rends compte que cinq choix, c’est insuffisant. Il aurait fallu mettre le meilleur enregistrement de Jean-Roger Caussimon («Au Théâtre de la ville»; 1978); le meilleur Martin Léon («Moon Grill»), un ou deux Renaud (chansons réalistes?; «Un Olympia pour moi tout seul»?), Jane Birkin (Olympia 1996)… Et je sens que d’autres me viendront en tête dans quelques minutes…

P.-S. 2 Quelques minutes ont en effet passé, comment ai-je pu oublier ces deux perles de Georges Moustaki que sont «Bobino 70» et «Concert» (Bobino 73)? Je ne mériterai jamais les honneurs des Inrocks. Une vie gâchée, quoi.

P.-S. 3 Et il conviendrait d’ajouter «Sheller en solitaire» et son double cd «Olympiade»… Ainsi qu’Anne Sylvestre