Archive for septembre 2012

Retour d’une essentielle

26 septembre 2012

Anne Sylvestre entame demain une série de trois spectacles en sol québécois. Cette dame n’est pas seulement la plus grande auteure-compositrice-interprète parmi sa génération ou parmi les chanteuses. Non. Elle est extraordinaire. Point. Son talent ne se réduit pas. Depuis plus de 50 ans qu’elle signe des chansons immenses, tendres, hilarantes, colériques, bouleversantes.

Elle a longtemps gratté la guitare, mais la formule qui lui convient le mieux est le piano-voix, comme sur son disque en public de 1995 et qui fait partie de ma discothèque idéale.

Bonne nouvelle, c’est ainsi que le public québécois pourra la voir. L’artiste sera accompagnée par la pianiste Nathalie Miravette.

Les dates:

27 septembre 2012 – Longueuil / Théâtre de la Ville Longueuil – www.theatredelaville.qc.ca
28 septembre 2012 – Montréal / Théâtre Outremont – www.theatreoutremont.ca
29 septembre 2012 – Ste-Geneviève / Salle Pauline Julien- – www.pauline-julien.com


Son site

Arnaqueurs

24 septembre 2012

On savait que les maisons de disques aimaient arnaquer les mélomanes à coup d’éditions spéciales, de bonus, d’inédits… Et ça ne remonte pas à notre chère et belle époque. Déjà au temps de Brassens, on publiait des coffrets avec des versions inédites…

Quand Universal avait sorti la nouvelle intégrale Gainsbourg, on avait omis de mettre toutes les pistes supplémentaires afin de s’en garder sous la manche pour la réédition, quelques mois plus tard, de la version deluxe de Melody Nelson. Et dans cette nouvelle intégrale, on avait remplacé (sans le préciser) la version habituelle de Chez les yé-yé par une autre, plus longue… Pas ajoutée en bonus, remplacée! L’originale n’y figure plus du tout!

Les preuves s’accumulent au fil des années contre la voracité, la malhonnêteté des compagnies de disques.

En voici un autre exemple. À la FNAC, pour seulement 10 euros, on vend un boîtier de Benjamin Biolay qui regroupe ses deux premiers et magnifiques albums, Rose Kennedy et Négatif. Or, quand on achète ledit boîtier, on peut constater que la version originale de la chanson Los Angeles a été remplacée par une autre mouture (un remix affreux repris dans sa compil)! Vous imaginez la déception de celui qui se décide enfin à mettre la main à sa poche pour se procurer un album qu’il aime ou veut découvrir? C’est comme ça qu’on incite les mélomanes à encourager les artistes et enrichir les compagnies?

On s’étonnera ensuite que les gens préfèrent pirater… Et ce sont eux qu’on accusera d’être des voleurs…

En entrevue, Biolay a déjà raconté que Négatif avait été conçu pour être un double album. Sa maison de disques lui a plutôt suggéré d’en sortir dans un premier temps une version simple, puis quelque temps plus tard, la double… Augmentant les ventes par la même occasion, pour bien saigner le mélomane qui veut connaître l’œuvre dans son intégralité. Et sur Négatif, peu de déchets, alors ça vaut la peine.

Ce coup-ci, Biolay avait refusé les magouilles et publié directement son double opus.

Ça méritait d’être souligné.

D’ailleurs, son nouveau disque sort bientôt, après le grand succès critique et public de La superbe, un double cd justement. Espérons qu’avec le prochain, il saura reconquérir les amateurs de la première heure qui trouvaient La superbe bien décevant.

P.-S. Revérification faite, il existerait deux éditions de Rose Kennedy. L’originale, de 2001, comporte 13 titres et dotée d’une pochette sombre. Une seconde version a paru en 2002 avec une pochette plus lumineuse, elle contient 14 titres et l’originale Los Angeles a été remplacée par l’horrible remix. Sur les cd, ce n’est pas indiqué qu’il s’agit d’un remix ou de la version dite # 2. D’où la confusion. Dans ce boîtier soldé, il s’agit donc de l’édition 2002 qui est reprise…

Il y a quelques années, Arman Méliès avait publié une nouvelle édition de son deuxième album, le très beau Les tortures volontaires, mais avait pris soin de l’indiquer sur le cd, comme ça personne n’est berné…

Plumesque

22 septembre 2012

La très bonne série «D’un Plume à l’autre» de la radio de Radio-Canada se terminait aujourd’hui. Prétexte parfait pour s’attarder encore sur l’œuvre de Plume Latraverse, essentielle dans le répertoire québécois.

Plusieurs de ses 33 tours n’ont jamais été réédités. Lui s’en fout, nous pas. On les réclame avec raison. Dans un monde idéal, un coffret reprendrait la totalité de ses années 70 et 80 (une quinzaine de vinyles). À défaut, voici nos suggestions:

-à rééditer d’urgence: À deux faces; Métamorphoses – tome 1; et la chanson Le joyeux misanthrope (disponible uniquement sur la cassette de Chansons pour toutes sortes de monde)

-à rééditer dans un second temps: Triniterre; Plume à l’Outremont; Insomni-fère; Les mauvais compagnons (Métamorphoses tome 2). Pourquoi pas un double cd avec Métamorphoses 1 et 2?

-à oublier: Plume Pou Digne; Le vieux show son sale; Chirurgie plastique

Discographie de Plume Latraverse.

Site de l’émission D’un Plume à l’autre.

J’suis snob

21 septembre 2012

Récemment, le magazine parisien branchouille Les Inrockuptibles provoquait quelque émoi dans le petit et frileux milieu de la chanson: on y descendait d’avance – sans l’avoir écouté – le futur disque de Francis Cabrel, qui ose commettre un album d’adaptation française de morceaux de Bob Dylan. Des confrères plus sanguins que d’autres se sont emportés… Comme si l’opinion qu’avaient Les Inrocks sur Cabrel et la chanson en général avait une quelconque importance… Les vrais amateurs de Cabrel savent tout le talent qu’il a pour adapter des chansons étrangères (Rosie; S’abriter de l’orage; etc.). Ceux-là auraient sans doute préféré un vrai opus original de Cabrel, mais ont hâte d’entendre le résultat.

Faut-il rappeler qu’il y a quelques années Les Inrocks ont sorti un numéro spécial en trois volumes des 150 artistes chanteurs/musiciens français essentiels et qu’ils omettaient Cabrel, Renaud et Lavilliers? À ce point de snobisme, on frôle l’incompétence et la bêtise. «J’suis snob», ironisait Boris Vian… Et Jehan Jonas qui répondait avec «Le snâob», celui qui «aime Gréco – à ses débuts, seulement»…

Le snobisme, en 2012, c’est le festival Pop Montréal qui a l’excellente idée d’inviter Bertrand Burgalat à chanter (enfin, chez nous!) mais le programme à 23 h 30 dans une salle difficilement accessible, sauf pour les gens du quartier…

Parlant de snobisme, il y a la prestigieuse Nouvelle Revue Française, dite NRF, qui publiait en juin un numéro spécial: «Variétés: littérature et chanson» sous la direction de Stéphane Audeguy et Philippe Forest (no 601; juin 2012). À travers le temps, il y a toujours des intellectuels, des écrivains qui se penchent – souvent avec une condescendance à peine dissimulée – sur la chanson dans des numéros spéciaux de leur revue (Liberté jadis, Spirale de nos jours).

On trouve dans ce numéro de la NRF des âneries prétentieuses, obscures… mais heureusement pas mal de bons textes. Des entretiens avec Lavilliers, Aragon (séance de délire assurée, où on se demande s’il faut «condamner» la mauvaise chanson ou non… condamner, parbleu!) et avec Serge Lama, surprenant et enrichissant, où le chanteur que l’on dit populaire et facile fait preuve d’une belle fibre littéraire.

Au sommaire, il y a un essai de Stéphane Hirschi, le maître de la cantologie, cette science qui analyse fort à propos la chanson sous l’angle du texte, de la musique, de l’interprétation et des arrangements. Si on se fie aux travaux d’Hirschi dans son livre sur Jacques Brel, les résultats sont fascinants.

Dans la bienvenue section Studio, dans laquelle on demande à des artistes de raconter leur rapport à la musique, il y a un article extraordinaire, à la fois simple et émouvant, de l’écrivain Arnaud Cathrine (complice de Florent Marchet): «Chronique d’un adultère heureux». Un témoignage dont il faudrait s’inspirer la prochaine fois qu’un littéraire ou un ignare snob voudra écrire sur la chanson…

D’un Plume à l’autre

4 septembre 2012

En ce mardi 4 septembre, le Québec s’apprête à élire – espérons-le – un gouvernement majoritaire du Parti Québécois, faire triompher la juste colère étudiante, et peut-être enfin se donner le pays qu’on mérite. Ensuite, ce sera le temps de penser aux valeurs proposées par le parti de Québec solidaire. D’abord, le pays.

Plume Latraverse est un des plus grands auteurs-compositeurs de chez nous. On peut lui reprocher son manque de respect envers le public et les médias, envoyant promener ceux qui lui réclament des rééditions de ses vieux disques,  il a quand même donné à la chanson québécoise de très beaux moments, essentiellement dans les années 70 et 80, jusqu’à «Chansons pour toutes sortes de monde» en 1990. Depuis, on trouve le temps long, il n’a plus la sève et la fougue qu’il avait. Latraverse savait être rock avec une guitare acoustique et un harmonica. Il était décapant. Maintenant, on baille et on coupe le son.

La radio de Radio-Canada consacre actuellement une série de quatre épisodes à Latraverse. «D’un Plume à l’autre» est signée Mathieu Beauchamp. Un collègue lui a reproché une facture trop classique, on pourra se rendre compte par nous-mêmes, mais il est préférable d’être plus linéaire et formel que débridé et décousu, comme c’est souvent le cas ces dernières années avec les séries documentaires sur la musique. On ne veut pas être émerveillé par le brio formel du réalisateur, on veut s’informer sur le chanteur. Et c’est faire preuve d’une grande générosité de la part du documentariste de savoir s’effacer un peu et tendre le micro à son sujet.

C’est diffusé le samedi à la Première Chaîne de Radio-Canada de 11 h à midi ou on peut l’écouter sur Internet au fur et à mesure sur le site de l’émission. Hélas, il n’y a pas de podcast. On suggère donc à notre radio d’état de s’inspirer de France Inter…

La discothèque idéale # 22

2 septembre 2012

Bernard Lavilliers, O Gringo (1980)

Passons rapidement sur les aspects mythomane et plagiaire du chanteur, habilement développés par Michel Kemper dans son ouvrage «Les vies liées de Lavilliers» (Flammarion) et sur son blogue à des multiples reprises. Plus on fouille les textes de l’artiste, plus on découvre d’emprunts inavoués (si c’était déclaré, on n’y verrait aucun problème).

On raconte que O Gringo devait à l’origine s’appeler Du monde entier, en référence au recueil de poèmes de Blaise Cendrars, mais qu’il n’a pas obtenu les droits des héritiers du poète. Dommage, car ce titre était parfait. Ce disque a été enregistré dans quatre pays d’avril à décembre 1979. C’est cet éclectisme, ces différents registres musicaux qui en font sa richesse. Il démontre la diversité d’inspiration de l’auteur-compositeur, son ouverture aux voyages et une certaine prise de risque. Ce qu’on ne retrouve pas, par ailleurs, dans son excellent album Les barbares, qui aurait pu lui aussi se retrouver dans cette discothèque idéale.

O Gringo, avec sa pochette sous forme de carte postale exotique, savamment en désordre pour faire rêver, fait un saut du côté de New York pour de la salsa et du rock, à Rio de Janeiro pour les parfums brésiliens (les superbes O Gringo et Sertao), à Kingston pour le reggae et à Paris pour une reprise d’Aragon/Ferré, Est-ce ainsi que les hommes vivent?

Dans la capitale française, Lavilliers enregistre aussi une de ses plus belles chansons à vie, Attention fragile. Des érudits ont prouvé que le texte est en partie plagié sur Pierre Louÿs (les détails ici). Mais cette histoire démontre également à quel point le chanteur sait transformer ce qu’il vole. Car Attention fragile, ce n’est pas seulement de jolies paroles, c’est l’alliage parfait de ce que devrait être cet art si difficile qu’on nomme chanson: un texte, une musique magique, un arrangement et une interprétation. Tous ces ingrédients bien dosés, avec le savoir-faire hors pair de Lavilliers, ça donne un chef-d’œuvre. Si seulement, l’honnêteté lui avait fait mettre Louÿs dans les crédits du texte, tout le monde serait content, l’esprit en paix.

O Gringo est non seulement un sommet dans l’oeuvre de Lavilliers, mais également un point de référence, un modèle pour toute la chanson française.

(billet inédit)