Archive for mars 2016

La chanson perdue (1)

25 mars 2016

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Sur leur blogue, mes confrères de Crapauds & Rossignols ont une rubrique «La chanson pêchée à la ligne» dans laquelle ils citent l’irruption d’une chanson ou d’un chanteur dans un bouquin, de préférence littéraire. J’ai trouvé l’idée si belle que j’en ouvre une à mon tour, que j’intitulerai «La chanson perdue», en référence à un titre de Pierre Mac Orlan & Philippe-Gérard chanté par Germaine Montéro et Yves Montand. Commençons donc par Paul Léautaud qui note dans son journal le 13 mai 1920:

«Je me souviens très bien de cette maison, au no 14, où une locataire chantait chez elle, fenêtre grande ouverte, sans se montrer, une romance à la mode qui me revient, et que j’allais écouter, immobile sur le trottoir.

Le rossignol, Mignonne, n’a pas encore chanté
Brune joli-ie
Ô mon ami-ie
Ô mon ami-ie
Ce n’est pas l’heure des adieux
Laisse-moi vivre
Que je m’enivre
Que je m’enivre
De tes jolis yeux bleus.
» (p. 332)

Les soeurs Boulay: la Gaspésie comme si vous y étiez

20 mars 2016

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Photo :  Eli Bissonnette et Jeanne Joly

Les deux Gaspésiennes s’amènent avec un deuxième album sous le bras, le très réussi «4488 de l’Amour». Comme on les aime: pétillantes, tendres, éblouissantes de fraîcheur, rigolotes. Un vent original dans la chanson francophone.

Les soeurs Boulay ont déboulé dans nos vies et nous ont tout de suite séduits avec «Le poids des confettis» en 2013. Stéphanie et Mélanie. Ces guitares folks, avec une touche country, cet enthousiasme contagieux, l’humour, l’accent joual teinté de Gaspésie, avec des expressions, des prononciations bien à elles. On rit, certes, mais on s’émeut aux larmes avec des chansons comme Mappemonde ou Sac d’école. On craque. Impossible de résister. Mélanie, la cadette, revient pour nous sur les débuts du duo: «On chantait ensemble quand on était jeune, Stéph’ pis moi. Ma belle-mère nous disait qu’on devrait vraiment chanter ensemble, que ça marcherait, mais nous autres, on ne voulait rien savoir. On avait besoin de vivre chacune nos expériences.» En 2009, Stéphanie avait déjà fait paraître un maxi solo de cinq chansons, et participe ces jours-ci à un recueil collectif de nouvelles érotiques.

De la Gaspésie, les deux filles débarquent en ville: «Quand on est arrivées à Montréal, Stéph’ et moi avons habité ensemble. Un jour, où on était un peu déprimées toutes les deux, il faisait gris, j’étais couchée en boule dans mon lit. Ma soeur est venue me chercher dans ma chambre pour qu’on fasse une toune, pour nous faire du bien. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas chanté ensemble.» Elles enregistrent une reprise de Simon & Garfunkel, The Boxer, la proposent sur Internet.

Et la vague déferle: ça marche, on parle d’elles. Elles gagnent le concours des Francouvertes en 2012. Lancent avec succès un premier opus. L’an passé, un deuxième disque qui demande quelques écoutes pour l’apprivoiser, mais se révèle fin et accrocheur. Une écriture poétique personnelle qui rappelle Stéphane Lafleur (le cinéaste et chanteur d’Avec pas d’casque) et Tire le coyote. Ces plumes portent un regard en biais sur les choses du quotidien, un style curieux, imaginatif.

L’auteur-compositeur-interprète Philippe B réalise les deux albums des soeurs: «Philippe et nous, on se comprend bien dans la façon d’écrire. Ça a l’air vraiment simple, on part d’un événement banal, mais on essaie d’en faire une chanson qui est poétique. Son album « Variations fantômes », on l’a beaucoup écouté. On ne le connaissait pas personnellement, on se disait que ce serait trop beau qu’il accepte de travailler avec nous. C’est un gars tellement intelligent, qui comprend la musique. Il est arrivé avec quinze façons différentes d’aborder l’album, avec une vision presque plus claire que nous-mêmes de notre musique.» C’est tout naturellement qu’elles vont vers lui pour le deuxième: «On ne voulait pas reproduire exactement la même chose que le premier. De toute façon, avec la tournée, on avait un peu changé. Il y avait des guit’ électriques et des percussions qui s’étaient rajoutées. Les nouvelles chansons étaient un peu plus « couillues » (tu ne voudras sûrement pas écrire ça!), disons qu’elles avaient plus de drive… Mais on a gardé les voix en harmonie, car c’est ce qu’on aime faire, c’est ce qu’on est». Et qui fait une partie de leur charme.

Francis Hébert

(article pour L’entracte d’avril 2016)