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Auprès de mon saule

6 octobre 2015

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Comme chacun le sait, Remerle est un hameau français du département de la Vienne. Ce qui est moins banal de rappeler, c’est qu’il s’agit également du nom du cinquième album de l’auteur-compositeur-interprète Aurélien Merle. Un disque de folk inventif, esthétisant, où la grâce et la fragilité se faufilent partout entre les notes et les mots. Son dernier opus remontait déjà à 2010 («Vert indolent» qui figure dans notre bilan de fin d’année). En 2006, il s’était offert une parenthèse dans la langue de Bert Jansch avec «For Words, Perhaps», dans lequel il mettait en musique et chantait des poèmes de l’auteur irlandais W.B. Yeats.

Aurélien Merle est également à l’origine de l’étiquette discographique indépendante Le Saule (clin d’oeil à la chanson de Dick Annegarn), qu’il a fondée avec des amis saltimbanques et ne cesse de nous offrir des disques époustouflants (citons, entre autres, Antoine Loyer, Jean-Daniel Botta, Philippe Crab, etc.). Une bande qui ne peut que rappeler l’époque tant regrettée et jamais égalée du Saravah des années 60 et 70. Ça fourmille d’idées. Pour peu, on se croirait Place des Abbesses, à Paris, avec Pierre Barouh dans un coin, David McNeil à ses côtés, l’immense Jean-Roger Caussimon pas loin… sans oublier Brigitte Fontaine et son complice Areski, Jacques Higelin…

Artisan de l’ère moderne, Aurélien Merle chante, produit et s’occupe même des relations de presse. De plus, il écrit de jolies choses un  rien décalées sur sa page Facebook, où on peut apprécier sa nouvelle vie à la campagne. On l’a convié pour un petit entretien électronique.

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Q: Comment est née la maison de disques Le Saule? Les artistes que vous produisez sont-ils tous des copains à la base?

R: Le Saule est né de la rencontre d’auteurs/interprètes de chansons, un peu en marge, du fait de leur besoin de liberté. Ces gens se sont rencontrés parce que leurs chansons leur plaisaient, aux uns et aux autres, et ils ne sont devenus des copains que par la suite.

Q: Dick Annegarn est-il une influence commune à tous les artistes du Saule?

R: Non, mais sa chanson «Le Saule» a mis d’accord tout le monde quand il s’est agi de trouver une BELLE chanson du répertoire francophone à interpréter en commun. Plus tard quand l’envie de créer le label s’est précisée, c’est le nom qui est venu le plus naturellement. Mais je pense que Dick Annegarn nous inspire un grand respect à nous tous.

Q: On retrouve chez Le Saule le même esprit de bande, de partage, de marginalité, d’originalité, un côté décalé, rêveur qui rappellent les belles heures du Saravah des années 60/70. Tu revendiques cette influence mais beaucoup moins tes camarades «sauliens». Quels principaux albums Saravah t’ont allumé? Des perles cachées dans ce répertoire? As-tu essayé de contaminer tes amis musiciens?

R: J’ai effectivement découvert Saravah quand j’étais adolescent. Sur un vide-greniers, deux années de suite, un mec revendait sa belle collection de vinyles dans un petit village. J’ai sûrement loupé de très bons disques, par méconnaissance alors, mais je lui ai quand même acheté des disques d’Albert Marcoeur, de Dick Annegarn, de Colette Magny, de Matching Mole, de Robert Wyatt, et donc de Brigitte Fontaine et Areski. En fait, pas tellement d’autres disques de Saravah hormis un coffret «10 ans» qui réunissait tout le monde. Mais je ne suis pas un inconditionnel de Saravah pour autant. Il y a bien sûr Nana Vasconcelos, Pierre Akendegué, Higelin, Barouh et Caussimon… mais je n’aime pas tout, loin s’en faut. Quand je dis «revendiquer» l’influence de Saravah, c’est davantage pour signifier que c’est de là qu’est née l’envie de monter un label, avec un certain état d’esprit, plutôt que de revendiquer un style musical. Et les copains ne rejettent pas Saravah, simplement on s’étonne toujours d’être comparé à des artistes qu’on n’a pas écoutés.

Q: Après «Vert indolent» en 2010, qui était magnifique de folk mélancolique, il y a eu cinq ans de silence discographique. Pourquoi tout ce temps? Manque d’inspiration? De ressources monétaires?

R: Manque d’espace et manque d’ennui, trop de dispersions, d’autres projets à mener, perte de l’envie de jouer pendant plusieurs mois, c’est un peu un mélange de tout ça.

Q: Avec «Remerle», est-ce qu’il y avait une volonté de rompre avec l’aspect un peu linéaire de «Vert indolent»?

R: Plutôt que «d’aspect linéaire» je dirais plutôt que je voulais rompre avec sa cohérence, et j’inclurais l’album précédent  aussi, «For words, perhaps». J’avais envie d’un album plus désordonné, plus surprenant d’une piste à une autre, comme mon premier album, avec beaucoup plus d’apports extérieurs.

Q: Peux-tu nous parler du tableau qui orne ta pochette, pourquoi ce choix? Que représente ce peintre pour toi?

R: Le peintre, Arnold Böcklin, m’était totalement inconnu. Je suis tombé dessus en cherchant sur Internet, tout simplement. Et la présence de Pan, de ce merle perché au-dessus de lui, de cette flûte à son côté, l’aspect bucolique général du tableau m’ont paru faire un lien entre toutes les chansons. Ce que je n’arrivais pas à faire avec un titre !

Q: Si certains copains du Saule trouvent qu’on parle trop de Saravah dans nos papiers sur vous, ne vont-ils pas s’énerver de te voir reprendre un classique de Pierre Barouh & Areski, 80 A.B.? Quelle est ta version de référence pour cette chanson, puisqu’elle a été interprétée par Barouh (sur «Ça va, ça vient», puis sur «Une rencontre, une occasion») ainsi que par Areski sur son 33 tours en solo «Un beau matin»?

R: Je ne me fais pas de souci avec les sorties à venir du label : l’étiquette «héritiers de Saravah» devrait s’estomper un peu. Concernant 80 AB, c’est clairement la version de Barouh (1973) que je préfère. Et le texte, et les arrangements.

Q: Et l’avenir, pour Le Saule, tu le vois comment? Une ouverture vers des choses plus électriques, plus variées? Si tu avais les moyens comme ceux du Saravah de la belle époque, auriez-vous vous aussi produit des albums de jazz, de musiques du monde, etc.?

R: Je ne sais pas du tout ce qui va advenir du Saule. Jusqu’à présent c’est surtout la juxtaposition de nos envies personnelles, la succession de nos travaux, parfois en commun, qui donnent une orientation au label. Mais il n’y a pas d’objectif à atteindre, simplement le plaisir de continuer à avancer ensemble, et peut-être faire encore de belles rencontres. Je crois pouvoir affirmer que personne dans Le Saule n’aime à tourner en rond, donc il est probable que les albums du Saule continueront de surprendre.

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Aurélien Merle, Remerle (Le Saule), extraits à l’écoute ici

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