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Un demi-siècle avec Jofroi (entretien)

3 mars 2022

Le premier 45-tours de Jofroi a cinquante ans. Après une série de rééditions essentielles et de matériel neuf, revoici l’auteur-compositeur-interprète belge qui propose un nouvel album de chansons originales: «Et ton rire un oiseau». Par courriel, on a échangé quelques questions avec lui…

Q: Dans les années 70, était-il possible de vivre de la chanson si on restait en Belgique ou il fallait s’expatrier en France?

R: Quand j’ai sorti mon premier album en 75 «Jofroi et les Coulonneux» il n’y avait pas eu de nouvel artiste ou groupe qui était apparu en Belgique depuis une dizaine d’années et ce disque a initié un nouveau mouvement, qui a vu naître beaucoup de festivals, de lieux de chansons et de chanteurs et chanteuses. J’ai donc tourné un peu partout en Belgique, puis très vite en France avec la sortie du deuxième album, produit en France par Péridès.

Q: Si je comprends bien, Cabiac est un petit village… Est-ce un mode de vie que tu pourrais quitter pour vivre dans une grande ville? Qu’est-ce qui te plaît là-bas?

R: À part quelques années passées à Bruxelles entre 80 et 83, j’ai toujours vécu à la campagne et je pense que je ne pourrais pas facilement vivre en ville. Même si j’aime y passer du temps, la ville est riche de tant d’étonnements, de rencontres, d’évènements culturels… mais j’ai trop besoin de la nature. Ceci dit, j’adore me promener dans les parcs à Montréal et s’il me fallait vivre en ville, c’est peut-être celle que je choisirais !

Q: Quel est ton rythme d’écriture? Depuis les années 70, est-ce que tu as toujours des chansons d’avance pour tes albums? Comment s’est passée la création du nouveau disque? 

R: Des chansons pas nécessairement mais des idées, des débuts de phrases, des bouts de mélodie. Tout ça peut prendre parfois beaucoup de temps. Je dois avouer que ce dernier album est venu par surprise. La mise à l’arrêt de l’année 2020 ne m’a pas inspiré du tout mais cela a peut-être joué comme une jachère, car au début 2021, je me suis senti bouillonner d’idées et d’envie d’écrire, et les chansons sont venues l’une après l’autre en quelques mois.

Q: Les trois derniers morceaux de «Et ton rire un oiseau» sont des reprises de tes vieilles chansons. Pourquoi ce choix à ce moment-ci?

R: Comme je l’explique à propos de la chanson Faut bâtir une terre (Champs la rivière) écrite à Champs la rivière en 1972, c’est l’idée de fêter un demi-siècle de chansons. Je l’ai donc actualisée et accompagnée de deux autres anciennes chansons, toujours tellement d’actualité. Il rêve encore (Il rêve) et évidemment Si ce n’était manque d’amour dans cette version merveilleuse enregistrée en virtuel avec plus de 50 participants pendant le premier confinement de 2020.

Q: Il y a quelques références au Québec dans ton oeuvre… (Mario si tu passes la mer; Est-ce qu’il neige à Montréal?; etc) Parle-nous de ta découverte et de ta relation avec notre pays au fil des décennies…

R: J’aurais tant à dire… ça commence par ma rencontre avec Félix Leclerc, en Belgique en 1969 puis en Suisse en 1975 qui me fera rencontrer Pierre Jobin quelques années plus tard. Celle avec Gilles Vigneault en 1973 dont je fais la première partie. La rencontre avec Mario Gingras qui vient m’écouter le premier soir où je chante au Québec en 1978 à l’Imprévu à Montréal et qui sera à l’origine de la chanson Mario si tu passes la mer… Je me lie d’amitié avec Michel Robitaille, attaché culturel à la Délégation du Québec à Bruxelles, amitié toujours profonde aujourd’hui et nous avons partagé beaucoup son amour du Québec. Et puis,  je vais me faire plein d’amis sur toutes ces tournées à partir de ce moment-là. D’amis chanteurs aussi, comme Bertrand Gosselin, Jim Corcoran, Richard Desjardins, Louise Forestier… Je vais jouer plusieurs fois au Théâtre du Petit Champlain, jusqu’à deux semaines en 1992 avec la complicité d’une vingtaine de Québécois et de Québécoises qui participent au spectacle intitulé «Fragile». Jusqu’à cette rencontre des dernières années où un soir où je chante à Montréal, André Lavoie vient me voir et me dit après le spectacle qu’il a pendant dix ans fait de la radio en Gaspésie et qu’il n’a jamais fait une émission sans passer une de mes chansons. En fait, c’est un merveilleux poète, c’est à lui que j’ai dédié Est-ce qu’il neige à Montréal?. J’ai aussi dédié C’est une idée à Raymond Lévesque, en hommage à sa splendide chanson Quand les hommes vivront d’amour. Et oui, et j’adore toujours le Québec, un peu cousin de la Wallonie.

Q: La chanson Célébration des oiseaux est une adaptation d’un texte d’André Lavoie. Qui est-ce? Comment vous êtes-vous rencontrés? Comment s’est passé votre travail sur ce titre? Le texte a-t-il subi de grosses transformations?

R: Depuis ma rencontre avec André Lavoie, je corresponds avec lui de façon presque hebdomadaire. Mais c’est un tel poète qu’il est impossible de lui écrire sans essayer de se hausser à sa hauteur. Trois chansons de l’album précédent  «Habiter la terre»  sont issues de «minimes» tirées de ses écrits. C’est un homme d’une grande générosité et d’une grande humanité, un homme qui a des idées en permanence qui te rendent heureux et généreux. Il m’a envoyé ce texte qui avait pour titre Cent milliards de migrants. J’y suis resté assez fidèle, j’ai transformé quelques mots par-ci, par-là, changé un peu la structure, enlevé quelques oiseaux et rajouté d’autres pour en faire une chanson…

Q: Après cinq décennies de chansons, est-ce qu’on commence à vouloir s’arrêter ou si le désir est toujours là? Les prochains mois seront consacrés à tes nouveaux tours de chant?

R: Cinquante années de chanson… oui, pour le moment, j’ai toujours autant envie d’aller partager mes chansons, de rencontrer le public. Il y a pas mal de projets en cours en France et en Belgique et puis j’espère bien revenir au Québec bientôt, maintenant que la crise sanitaire commence à se calmer.