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Réalisateur de chansons

30 janvier 2017

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Le groupe Avec pas d’casque mélange la country, le folk, la pop, la désinvolture, l’humour absurde, servi par la plume de son chanteur, le cinéaste Stéphane Lafleur, que nous avons joint au téléphone pour parler du nouvel opus dans le cadre de sa tournée actuelle.

Un des phénomènes musicaux de la dernière décennie, au Québec, c’est Avec pas d’casque, qui continue de séduire et agrandir son bassin d’amateurs. La critique spécialisée l’encense. Il a une influence notable chez un artiste aussi vivifiant que Tire le coyote, dont il est proche. Auteur-compositeur-interprète, Stéphane Lafleur a également écrit des chansons pour Les sœurs Boulay. Mais il tient à garder son projet musical dans des dimensions humaines, indépendantes. Pas question de devenir une machine à succès : «La ligne directrice d’Avec pas d’casque, ça a toujours été le plaisir d’abord, l’amitié, la liberté de pouvoir faire ce qu’on veut. C’est précieux de pouvoir écrire des chansons et que personne ne te dise quoi faire ou de changer telle ligne, comme ça arrive plus souvent en cinéma où il y a plus de gens qui te lisent, où il y a plus de paliers. En cinéma, il faut convaincre plus de gens. En musique, on te laisse faire. Dans notre groupe, tout le monde a des idées de comment ça devrait sonner, comment on devrait faire la réalisation, alors on ne ressent pas le besoin d’aller chercher un réalisateur extérieur pour faire les albums.»

Au bout du fil, sur une route du Québec avec les musiciens, Lafleur semble détendu. L’humeur badine. Lorsqu’on lui rappelle une réplique hilarante de son dernier film («Tu dors Nicole»), il rigole. On doit également au cinéaste «Continental, un film sans fusil», primé de deux Jutra. Ce que l’on remarque beaucoup dans les chansons d’Avec pas d’casque, outre une voix traînante, c’est l’écriture qu’il y a derrière, le sens de la formule qui laisse pantois. Visiblement, Lafleur s’attelle on ne peut plus sérieusement à la conception des paroles : «Au début, je faisais de la musique en dilettante. Mon parcours académique est cinématographique. Avec le temps, le band a pris plus de place. Le cinéma est un processus plus lent où, entre l’idée et la sortie, il peut y avoir des années. La chanson, c’est plus direct, tu l’écris et tu peux la jouer le soir même. Mais le moteur commun qui me tient dans les deux médiums, c’est l’écriture. Je ne pense pas que je chanterais les chansons des autres.» Ce qui ne l’empêche pas d’admirer le travail de ses confrères, et il cite l’album «Maladie d’amour» de Jimmy Hunt en exemple.

Avec pas d’casque est désormais un quatuor. Il a lancé en 2016 un disque neuf : «Effets spéciaux», un titre qui fait sourire tant le groupe cultive l’art du minimalisme, du feutré, à mille kilomètres des sparages : «Le titre était en effet ironique. Contrairement aux précédents albums, il est venu à la fin, on avait fini d’enregistrer. J’aimais l’idée de cette expression-là, sortie de son contexte cinématographique. Mais il faut aussi dire qu’à ce moment-là, j’avais vu les premières ébauches de la pochette de Joël Vaudreuil, le batteur du groupe. Ces visages reliés entre eux par des bandes blanches qu’on ne sait pas trop c’est quoi. Les liens visibles ou invisibles»… Lafleur laisse la porte ouverte sur l’interprétation que chacun peut avoir. C’est un réalisateur de chansons mystérieuses.

Francis Hébert

(Pour L’entracte de février 2017)

Plutôt guitares

21 janvier 2017

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Peu d’artistes francophones se risquent dans l’exercice casse-gueule du guitare/voix sur tout un album. Parmi les plus réussis, citons Jean-Claude Darnal («Nature»; 2001) et Maxime Le Forestier («Plutôt guitare»; 2002).

À cette courte liste, il faudra ajouter désormais celui que l’auteur-compositeur-interprète français Pierre Delorme vient de publier: «Un après-midi d’été». Prof à la retraite, il a pris le temps d’auto-produire ce CD majestueux. Il y chante et y joue de toutes les guitares. Tout seul. Comme un maître. On retrouve ce qu’on aime depuis longtemps chez lui, sa plume, son timbre de voix, ses préoccupations et dilections (la peinture, la littérature, etc). Il consacre une chanson à un luthier*, il dédie son opus à son ami et écrivain René Troin, récemment et trop tôt disparu, hélas…

On ignore s’il s’agit d’un hasard, mais lorsque Delorme écrit Je te rencontrerai dans un rêve, on ne peut s’empêcher de penser à la chanson Je te rencontrerai dans un rêve inversé de Jacques Bertin. Il faudrait lui poser la question, mais on a plus urgent à faire: réécouter ses nouvelles chansons dépouillées, chaudes. Et chercher dans le dictionnaire des synonymes à grandioses, monumentales et sublimes, des mots peut-être trop pompeux pour sa discrétion d’artisan, mais auxquels on peut penser en l’écoutant chanter.

Deux trop courts extraits de cet opus intense sur cette page.

Les amoureux de la guitare peuvent par ailleurs lire trois raffinés billets écrits par Pierre Delorme sur le sujet: premier; deuxième; troisième…

* À propos de La guitare d’Alexandre, voici ce que Pierre Delorme avait prévu d’écrire sur la jaquette mais qui a été oublié: «J’ai choisi pour accompagner cette chanson l’étude n°5 en si mineur de Fernando Sor (guitariste et compositeur espagnol, 1778-1839) que nous jouions souvent à cette époque.»

P.-S. Vous pouvez vous procurer la version CD directement auprès de Pierre Delorme, 39 rue Paul Verlaine, 69100 Villeurbanne, France (18 euros, port compris, peu importe le pays). On peut le joindre également par son site officiel…