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Les racines de Laffaille

25 novembre 2020

En voilà une chouette idée que ce coffret de trois cd. Il réunit les premiers vinyles de Gilbert Laffaille: six microsillons, et un 45-tours (1977-1988). En respectant l’ordre des albums originaux, et la chronologie. Ça paraît évident, la base de tout, et pourtant on ne le fait pas systématiquement. Parfois, on réédite par thèmes, on mélange les époques et ça frôle la cacophonie.

Le boîtier s’appelle «Les beaux débuts!», en référence à sa chanson ironique et drôle de 1980. Tout est là. Le premier album avec ses potacheries et ses classiques. Le troisième 33-tours, fabuleux «Kaléidoscope». Sur «Folie douce» (1983), on peut redécouvrir Jolis jeux du lit ou Le pays des chimères.

Parmi d’autres raretés, notons le 45-tours avec Neuilly blues (première version) couplée à la chaloupée La sole à Filou. C’est un vrai régal quand Laffaille se plonge dans ses influences brésiliennes. Sur le deuxième cd, on réécoute son fameux vinyle en public, à Chatou, intégralement bien sûr. On a le plaisir de retrouver Charlotte, marrant et délirant, la délicatesse tournoyante de La valse des chiffonniers et la très fine L’album, qui baigne dans un climat inquiétant sous des apparences légères. En cd, on ne trouvait jusqu’à présent que la face B de «Nettoyage de printemps», un de ses meilleurs disques en carrière. Voici enfin la face A, suivie de la face B! On croit rêver. Des pépites rescapées. La petite fille d’à-côté, entre fantaisie et tendresse, glaciale La tour d’ivoire et la version d’origine de La ballade des pendules, chantée, belle, admirable musique et indissociable du texte.

Et puis il y a le livret, copieux: tous les crédits artistiques, entrevue avec le chanteur, coupures de presse de l’époque… Dans celles-ci, on aurait voulu y être cité, mais à deux ans, on n’écoutait malheureusement pas encore Laffaille. Dans le boîtier, il ne manque que la reproduction des pochettes recto/verso mais on peut les trouver sur ce site de référence (en cliquant sur Plus d’images).

On s’est entretenu par courriel avec Gilbert Laffaille. Merci à sa générosité et pertinence. Pour ceux qui l’auraient raté, vous êtes cordialement invités à lire d’abord ce vieux préambule. Ainsi, vous saurez (presque) tout.

Q : Je crois que tu ne possèdes plus de tourne-disque. Comment écoutes-tu de la musique? CD, cassette, streaming?

R: J’écoute de la musique en CD. Parfois je pioche un morceau sur Internet et je regarde une vidéo. Pas de baladeur, pas de casque, pas de streaming, je déteste les fonds sonores et la musique omniprésente dans les lieux publics. Quand j’écoute je me pose, j’éteins mon téléphone et je ne fais que ça. Quand je lis c’est pareil. Quand je mange aussi. J’aime aussi beaucoup le silence.

Q : Dans ton livre de souvenirs, tu cites énormément de chanteurs dont certains sont
méconnus du grand public. Es-tu encore friand de découvertes musicales ?

R: Oui je cite ceux que j’ai pu croiser durant ces années où j’ai été actif dans la chanson et ses à-côtés. Dans ce livre, « Kaléidoscope », j’avais le souci de faire revivre une époque pour ceux qui s’intéressent à la chanson plus que de distiller des anecdotes vaseuses sur telle ou telle grande vedette. Je serais friand de découvertes si j’entendais des choses qui me plaisent. Mais c’est rare. C’est devenu l’exception quand tout à coup je monte le son de la radio.

Je crois que c’est inévitable avec l’âge. Sur une vie on peut encaisser beaucoup d’évolutions, beaucoup de changements… jusqu’au moment où l’on ne peut plus et où l’on n’en a plus envie. Parce que, à tort ou à raison, on a l’impression d’avoir fait le tour du sujet, qu’on devient un peu blasé et qu’il en faut beaucoup pour qu’on s’étonne encore. Quand on est jeune on s’oppose à l’esthétique des parents. C’est normal et c’est nécessaire pour pouvoir exister. Après, dans sa vie, on s’adapte, on évolue, on précède les changements, puis on les suit, puis on court après… Puis on s’arrête de courir et on sort de la course. S’il ne s’agissait que de s’intéresser à l’émergence de jeunes artistes ce serait bien. Mais il y a tout le reste : la production, la mode, l’industrie musicale, la force médiatique, la propulsion sur le devant de la scène de personnes qui n’apportent rien au plan artistique mais qui rapportent beaucoup aux producteurs. À la longue c’est lassant.

Pour conclure sur ce sujet, je te dirai que oui je suis friand de nouveauté artistique, d’innovation, de créativité. J’aime bien, par exemple, « Feu Chatterton » même si je ne vois pas très bien où ça va. Je trouve que les propos sibyllins, l’hermétisme, le 3ème degré, ça s’use vite, l’intérêt s’émousse, comme dans l’art contemporain où la frontière entre production sincère et charlatanisme est parfois bien mince. J’aime beaucoup Thibaud Defever également. Étant sorti de la course je crois que ma prochaine aventure, si je peux la mener à bien, sera un retour à la simplicité et à l’humilité du folk. À la limite, une voix, une guitare, une mélodie, un texte. Point. Quitte à être différent, autant aller jusqu’au bout.

Q: Avant que EPM te contacte pour le coffret «Les beaux débuts!», avais-tu déjà eu
l’envie de rééditer tes vinyles?

R: Disons qu’il y a là quelque chose de pratique, d’avoir tout sous la main, enfin tout… je veux dire les premiers vinyles.

Q: As-tu participé à sa conception, aux choix des photos par exemple ? J’aime beaucoup celle au Centre américain à Paris en 1976 (qui coiffe cet article)…

R: Oui bien sûr j’ai participé à toutes les étapes et ces photos viennent de mes archives
personnelles.


Q: Dans ce boîtier, il ne manque que le microsillon «L’année du rat». Pourquoi cette
absence?

R: J’ai toujours trouvé que dans cet album le mixage avait été raté. Qu’il faudrait reprendre les bandes originales et remixer le tout : présence de la voix qui est comme dans un caisson, changer les réverbérations, donner de l’espace, du relief. Il manque aussi beaucoup de présence. L’ensemble dégage une impression de tristesse qui n’est pas sur les prises. Nous aurions dû changer de studio et d’ingénieur pour le mixage : le faire avec d’autres oreilles. Mais remixer cet album aurait exigé un budget que nous n’avions pas et comme nous n’étions pas non plus propriétaires de ces bandes, cela devenait trop compliqué. C’est dommage car il y a de bonnes choses dans cet album.


Q: En revanche, «Folie douce» y figure, l’occasion de redécouvrir quelques belles
chansons. Il n’avait jamais été réédité en CD, pas même au Japon?

R: Oui c’est la première fois que « Folie douce » est édité en CD. Il y a peut-être eu un morceau ou deux édités au Japon mais pas l’album. C’est une belle redécouverte : un travail d’équipe avec mes amis musiciens, une volonté de moderniser l’esprit tout en restant proche des univers jazzy et latins que j’ai toujours aimés. Le son de cet album, réalisé au studio Davout avec Claude Ermelin, est impeccable. Il ouvrait une voie que je n’ai pas poursuivie par la suite. Pour de multiples raisons expliquées dans mon bouquin et qu’il serait fastidieux de rappeler ici.

Q: «Travelling», lui, est sorti à la fois directement en vinyle et en CD. C’est avec lui que se clôt le coffret. Ce son synthétique a-t-il bien vieilli selon tes goûts à toi ? Je suppose que non puisque tu as réenregistré quelques chansons sur le splendide «Tout m’étonne»…

R: C’est un peu plus compliqué. Disons que « Folie douce » a réussi là où « Travelling » a selon moi échoué. Je n’ai pourtant rien à reprocher aux musiciens qui ont travaillé sur ce disque. L’ensemble est cohérent. Et c’est moi qui ai voulu tout ça. Mais je me suis fourvoyé. C’était moi à une certaine époque mais c’était trop différent de ce que je suis profondément. J’ai voulu faire des choses que j’aimais et dont j’avais envie mais qui ne me ressemblaient pas. J’ai essayé. Je me suis lancé. Et… j’ai dérouté beaucoup de gens de mon public. Il aurait fallu prendre plus de temps, mettre un peu d’acoustique là-dedans, raccourcir les introductions, les codas, baisser les tonalités… En fait, faire un autre disque avec ces chansons-là ! Mais on ne sait que lorsqu’on a essayé.

Cela étant, « Travelling » a ses amateurs : mon beau-frère par exemple qui est un musicien de rock et qui ne jure que par cet album : c’est le disque de moi qu’il préfère ! Certains ont en effet trouvé intéressant ce virage pop-rock. Ça l’était, mais il aurait fallu quelqu’un d’autre pour le porter. Si on poussait le bouchon un peu plus loin on pourrait dire que c’est un bon disque mais pas de moi ! D’ailleurs même sur la pochette originale je ne me ressemble pas…

Q: Ceux qui avaient beaucoup aimé tes deux albums des années 90 seront peut-être
surpris de retrouver l’accordéon de Richard Galliano et la guitare de Michel Haumont dès le début de ta carrière! Comment se sont passées ces deux rencontres et collaborations ? Le meilleur disque d’Allain Leprest («Voce a mano») a justement été enregistré en duo avec Galliano…

R: Effectivement j’ai rencontré Michel Haumont et Richard Galliano dès le début de ma
carrière : Richard par le biais de Claude Nougaro que je fréquentais dans ces années-là, et
Michel qui était un des pionniers du Centre américain, berceau du mouvement folk français. Disons, pour replacer les choses, que lorsque je suis apparu sur le devant de la scène avec mon premier album, j’étais un vrai débutant : je n’avais pas dix ans de galère derrière moi. Je ne savais rien de ce métier, je n’avais aucune expérience. Tout s’est fait sur le tas… et sur le tard ! Quand j’ai commencé, Michel Haumont avait déjà réalisé plusieurs albums (il a enregistré son premier à seize ans) : jamais je n’aurais osé lui demander de travailler avec moi ! Et Richard, je le voyais sur scène avec Nougaro, Pierre Michelot, Maurice Vander… c’est pareil : jamais je n’aurais osé. C’est grâce au succès de mes premiers disques, la médiatisation dont j’ai bénéficié, ma notoriété d’alors, le fait que j’étais invité dans de grandes émissions comme Le Grand Échiquier ou Le Tribunal des Flagrants Délires que j’ai pu travailler avec ces deux grands musiciens (et d’autres encore !) J’ajoute que Michel et Richard ont aussi en plus de leur talent quelque chose qui devait nous réunir : l’un comme l’autre aiment la chanson. Ce qui n’est pas le cas de tous les musiciens qui accompagnent des chanteurs. Et c’est ce qui a fait la réussite de «Voce a mano», les deux artistes étant en osmose.


Q: Quels sont tes projets artistiques actuellement?

R: Je travaille sur un conte illustré pour enfants et sur un autre conte, musical celui-ci. J’ai aussi le projet de réunir mon théâtre et peut-être de monter un nouveau récital, dès que cela sera possible au niveau de l’épidémie. J’ai aussi collaboré à différents projets chanson qui n’ont pas encore vu le jour.