Archive for décembre 2014

L’interprète qui fend la nuit

19 décembre 2014

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De tous les auteurs-compositeurs-interprètes français de grand talent mais de réputation confidentielle, il faut citer Bernard Haillant, décédé en 2002. Il n’avait pas encore 60 ans, et nous laisse une oeuvre à la fois classique et expérimentale. Sa veuve a d’ailleurs édité en 2007 «Je vous enchanterais les mots», un des plus beaux coffrets de chanson française jamais parus, par une présentation matérielle extrêmement soignée et un contenu (huit albums originaux, de 1972 à 1985) qu’on ne finit plus de redécouvrir, des années plus tard.

Est-ce un hasard? Antoine Fetet vient de faire paraître un cd hommage à Bernard Haillant, et il mérite amplement les mêmes éloges que pour ce coffret. L’interprète a attendu d’avoir les moyens financiers nécessaires pour saluer la mémoire de l’auteur-compositeur-interprète. Ça donne un objet très beau, un épais livret avec de belles photos de paysages de Chantal Bou-Hanna. Fetet confie: «Bernard Haillant a accompagné toute mon existence. J’ai toujours trouvé dans ses chansons un écho à mes propres émotions, à mes sensations les plus intimes».

Inutile de dire que le choix des titres est très pointu, chantés avec sobriété. Fetet s’y fait un interprète plus classique, moins échevelé que son prédécesseur. Et ça n’est pas plus mal, tant les expérimentations ne vieillissent pas toujours bien. Les couleurs musicales sont chaudes, à l’instar de la voix de Fetet: violoncelle, saxophone, hautbois, bandonéon, et compagnie, se juxtaposent aux piano, guitares, contrebasse… Travail d’orfèvre de Patrick Leroux qui signe les arrangements, la direction musicale et les (discrètes) programmations.

On doit à Antoine Fetet un précédent album d’auteur-compositeur-interprète paru en 1984, qu’il juge un peu trop sévèrement, car il y avait de bonnes choses là-dedans aussi. Un disque tous les trente ans? On se donne rendez-vous pour le prochain en 2044.

En attendant, le nouveau cd porte le titre d’un morceau de Haillant (L’oiseau qui d’un coup fend la nuit). On espère qu’avec ce projet chaleureux, ce sera Fetet qui fendra la nuit pour se rendre jusqu’aux amateurs d’une certaine chanson française, poétique et intemporelle.

L’album est disponible sur iTunes et autres plateformes, mais ce serait bête de se priver d’un aussi bel objet, son site c’est là

L’île aux mystères

18 décembre 2014

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Mystérieuse et sensuelle, c’est un plaisir de retrouver Élisa Point, sa plume fine et littéraire, cette voix confidentielle, fragile comme un frisson. Exceptionnellement, voici qu’elle opte pour le format bref, avec la parution d’un maxi sept titres: «Toujours en fin d’adolescence». En l’espace de 24 minutes, on se love avec délices sur son île apaisante.

Le disque est produit par son ami, l’auteur-compositeur-interprète Léonard Lasry – qu’on a d’ailleurs hâte de retrouver en 2015 avec un album complet, en espérant qu’il sera dans la même veine poétique que les deux précédents.

«Toujours en fin d’adolescence» réunit des chansons perdues, inédites, qui proviennent de différentes sessions d’enregistrements entre les années 90 et 2000. Les crédits artistiques se sont perdus en chemin. On ne saura peut-être jamais qui tenait la guitare, et c’est dommage, sur la chaloupée Elle paresse, notamment. Tous les morceaux ont été écrits, paroles et musiques par Élisa, sauf le duo à la fin, dont on doit les notes à Lasry, et qui chante avec elle. L’alliance de leurs univers artistiques est encore une fois très réussie.

Un disque comme un recueil de courtes proses, à relire sans fin.

Disponible sur iTunes ou sur ce site…

P.-S. Petit rappel, on peut consulter tous les articles écrits sur le même sujet en cliquant sur les tags qui figurent à la fin de ce billet. Des mots-clefs pour s’y retrouver.

Changer d’air

3 décembre 2014

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Depuis quelques années, les vinyles font un retour, même si personne ne semble en connaître l’orthographe en français. En France, on dit des LP (pour long play), qu’on traduit bêtement au Québec en l’horrible long jeu. Personnellement, je préfère le joli mot microsillon, qui a un côté désuet comme l’objet qu’il nomme. À l’heure du numérique, où on achète ou vole des albums en mp3 sur la toile, ce retour à l’objet a un petit côté apaisant. Dans nos tavernes modernes, on a encore besoin de choses palpables.

On a beau pester contre cette mode du vinyle, trouver que c’est peu pratique à trimballer, qu’on peut difficilement sauter des morceaux, il existe des artistes qui en font quelque chose d’imparable. Quand on reçoit par la poste un aussi bel objet que le nouvel album de Naïm Amor, en format 33 tours au vinyle rouge (voyez les photos, quelle gueule ça a !), quand on l’écoute pour constater qu’il n’y a aucun besoin de sauter des titres car tout est bon, on jubile. C’est réjouissant de retrouver Amor dans cet opus qui métisse chansons en français, en anglais (exil oblige) avec des instrumentaux planants, qui nous rappellent que le compositeur signe occasionnellement des trames sonores pour les oreilles.

En novembre 2007, l’auteur-compositeur-interprète venait à Montréal pour le Coup de cœur francophone, et j’écrivais dans les pages de l’hebdomadaire Voir à propos de son cd «Sanguine» : «Ce très bel album de Naïm Amor est difficile à décrire, bien qu’il dégage un parfum entêtant, un climat feutré. On pense à Gainsbourg période Confidentiel, à ce jazz délicat à base de guitare électrique doucement caressée. Ce sont des chansons atmosphériques et fragiles qui sont réunies sur cet opus réalisé par Joey Burns de Calexico. Le Parisien Amor s’est exilé à Tucson en Arizona (à qui il consacre un magnifique morceau) et ça s’entend dans ce métissage de pop américaine et de pop française, avec une élégance qui ne le quitte jamais. Au milieu de ses propres compos, il reprend le sensuel Sanguine de Prévert.» (3, 5 étoiles sur 5).

On peut prêter les mêmes adjectifs élogieux au nouveau disque, «Hear the Walls» (le vinyle vient avec un code de téléchargement des mp3). La seule chose qui change, c’est la prépondérance de l’anglais, mais sans l’accent franchouillard qui choque habituellement nos oreilles nord-américaines. Les mots, chez lui, sont avant tout, même en français, une texture sonore, ils gardent une souplesse, on les effleure à peine. Langoureux et exaltant, voilà un 33 tours qui risque de tourner régulièrement. Comme un bénéfique changement d’air, de climats musicaux.

Un extrait du 33 tours ici…

Le site de Amor c’est là…

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Martin Léon, l’explorateur

2 décembre 2014

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Martin Léon est sans aucun doute un des chanteurs les plus excitants de sa génération, un explorateur de la chanson actuelle. Il fait un remarquable travail pour allier toutes les parts de son art: l’écriture, la composition, l’interprétation et les arrangements. Difficile d’en isoler une. Il sait créer des chansons rythmées et langoureuses, à la langue québécoise, populaire, très quotidienne et au propos parfois philosophique, limite mystique.

Depuis son premier disque solo en 2002, Léon sait se renouveler, et frapper fort presque chaque fois. L’artiste est également un conteur qui nous aimante, que ce soit sur une scène ou en entrevue. Il compose des musiques pour le cinéma, et c’est aussi un grand voyageur.

Le dvd qu’il présente aujourd’hui rassemble toutes ses forces. Co-réalisé par Pierre-Étienne Lessard et le chanteur, «Carte blanche à Martin Léon: Les Atomes» (sur La Tribu) s’affiche comme un carnet de voyage visuel. On y voit des extraits de son spectacle au Théâtre de Quat’sous à Montréal, le 12 février 2013, entrecoupés de films, de photos, de projections de ses voyages en Asie, terre dont il s’est inspiré pour écrire l’album «Les Atomes». Ce sont ses images personnelles que l’on voit. Elles sont belles, évocatrices, elles font rêver, à l’instar de son répertoire exaltant. Après 47 minutes sans bonus, on en redemanderait encore. On pourra cependant regretter que sur la dizaine de morceaux interprétés, il en ait choisi deux récents qui sont parmi les rares scories de ses disques: Le shack à Chuck et Nobody’s Free. Les titres parlent d’eux-mêmes…

Ce dvd est un bon supplément aux albums, pour qui souhaite replonger dans l’univers envoûtant de Martin Léon. En attendant la suite. Léon, un expérimentateur singulier et précieux qui nous ouvre des chemins dans l’imaginaire et enrichit la chanson d’ici.