Archive for mars 2018

Autour de Saravah

28 mars 2018

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Ces jours-ci, paraît en France un livre que l’on espère depuis des lustres: «Saravah, c’est où l’horizon? 1967-1977». Ça couvre la période bénie, la première décennie de la maison de disques. Il est signé par Benjamin Barouh, le fils de Pierre. Nous y reviendrons bientôt sur cette page.

Si une bonne partie du catalogue Saravah a été rééditée en cd, il convient de faire une rapide mise à jour.

Une pièce majeure est ressortie en 2016 en cd mais au Japon seulement: Michel Roques «Chorus», du jazz expérimental sur des textes délirants. Il se fait de plus en plus rare, et de plus en plus cher. C’est le problème avec les raretés… Heureusement que le web existe. On vit une époque formidable.

D’ici quelques semaines, on pourra également acheter une réédition vinyle et cd du premier 33-tours d’Areski, «Un beau matin» (1972).

Maintenant, on peut citer quelques albums importants, voire majeurs, qui ne sont toujours pas disponibles en cd. Ce qui ouvre la porte aux surenchères les plus absurdes pour les dégoter d’occasion…

Outre le premier Aram dont nous venons de parler sur ce blogue, mentionnons également les trois albums de David McNeil. C’est inadmissible que l’on doive se contenter des 19 titres du cd «Les années Saravah». Les deux premiers opus Saravah de McNeil sont immenses et quelques excellentes chansons n’ont pas été reprises sur le cd: Louise; Beverly Collines; Comme à la TV; Show-biz blues (une parodie hilarante du milieu artistique); etc.

Pour ceux qui aiment le versant jazz et musiques du monde de Saravah, il faudrait aussi rééditer Jean-Charles Capon, «L’univers-solitude». En cherchant bien, on peut le trouver en mp3 sur Internet, mais rien ne vaut une réédition officielle, qui redistribue l’argent aux créateurs et producteurs.

Signalons en terminant un chouette bouquin paru chez l’éditeur marseillais «Le mot et le reste» en 2015. Il est de Maxime Delcourt. Son titre est un clin d’œil au slogan de Saravah: «Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire. 1964-1981. Chansons expérimentales». Il s’agit d’une plongée chez les chanteurs et musiciens marginaux francophones. Delcourt resitue les oeuvres dans leur contexte historique et nous donne une riche liste de disques marquants dont plusieurs, hélas, sont aujourd’hui introuvables. Certaines suggestions relèvent davantage du snobisme ou du caprice personnel, mais en général, c’est un ouvrage exaltant. Une malle aux trésors où on croise tant Brigitte Fontaine que Dick Annegarn, et des dizaines d’autres beaucoup moins connus. Les oubliés demanderaient un tome 2…

Du côté d’Aram

12 mars 2018

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Paris, Place des Abbesses, années 70. Fondée par Pierre Barouh, la maison de disques Saravah s’installe avec des artistes bouillonnants et méconus du grand public : Jacques Higelin, Brigitte Fontaine, Jean-Roger Caussimon, David McNeil, etc. Son slogan fleure bon l’utopie : «Il y a des années où on a envie de ne rien faire.» Aram Sédèfian a fait partie de la bande à Saravah. Sous le simple nom d’Aram, il y publie son premier opus en 1976 : «À la terrasse du café» (hélas jamais réédité en cd). Deux décennies plus tard, Barouh en produit un deuxième : le très beau «Ces moments-là». Entre les deux, Aram a publié ailleurs une petite poignée de vinyles (45 et 33 tours), a quitté la chanson pour travailler dans le domaine du voyage, lui dont les parents sont arméniens mais qui est né à Lyon.

Aram reste discret et pudique. Ceux qui l’ont côtoyé parlent d’une élégance et d’un charme orientaux. C’est ce que l’on peut apprécier dans ses chansons aux effluves exotiques : une beauté, une aura mystérieuse. Elles demandent une approche lente. Elles se dévoilent patiemment. En 2012, Aram a enregistré en auto-production ce qu’il a fait de mieux pour le moment : «Instants volés – ballades». Quatorze chansons dépouillées, aux arrangements gracieux, avec Jean-Pierre Auffredo pour seul complice (guitares; ukulélé ; contrebasse). Deux titres avaient déjà été interprétés en 2007 par Hugues Aufray (Tout passe ; Photos). Maintenant, ils retournent à leur créateur. Et c’est un bonheur à entendre.

Il a un site officiel (c’est ici). Avec son autorisation, voici trois chansons (téléchargeables en cliquant ici) de cet opus qui se retrouvait déjà dans mon palmarès en 2013. Depuis lors, ce billet était dans un coin de ma tête, mais vous connaissez le slogan de Saravah…

 

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Vincent Vallières: à hauteur d’homme

1 mars 2018

Il y a quelque chose d’entraînant et de stimulant dans les chansons de Vincent Vallières. Que l’on pense à Chacun dans son espace ; On va s’aimer encore ou Je pars à pied, elles portent en elles le germe des couplets populaires. On se les approprie d’office.

Ce regard jovial et chaleureux, Vincent Vallières le partage avec un public grandissant depuis 1999. Sept opus au compteur, le dernier a quelques mois à peine. «On ne le dira pas trop fort, mais c’est sûr que quand je compose une chanson, j’espère que les gens vont chanter avec moi en concert, dit celui qui sera bientôt sur les planches johannaises. Il faut se méfier aussi, car juste un refrain accrocheur, c’est une toune qui peut devenir gossante aussi et qu’ensuite elle s’efface de la mémoire populaire. Pour que la chanson puisse perdurer dans le temps, il faut qu’il y ait un amalgame des paroles et de la musique. Je te dis ça, mais dans le fond, peut-être que ce n’est pas vrai, que ça ne s’explique pas, qu’on ne choisit pas…»

Il est comme ça, Vallières, simple et humble, probablement toujours en proie aux doutes. Le rire franc. Il s’excuserait presque d’avoir plus de succès que ses confrères. À partir de son disque «Chacun dans son espace», il a fait le vœu que les auditeurs aillent vers lui, et il en a pris les moyens. Avant il n’osait pas avouer clairement son désir de devenir un chanteur populaire. Les arrangements musicaux sont devenus plus légers, plus attirants. «Quand je compose, j’essaie au départ de garder ça le plus naïf possible, de me retrouver comme si j’avais encore 14 ou 15 ans, dans l’idée que tout est nouveau, tout est à faire, il n’y a pas de règles. Puis, plus tard, lorsqu’on complète les chansons, ça devient une autre approche, tu n’as pas le choix de bûcher.»

On peut d’ailleurs le voir dans son bureau sur les photos de livret du nouveau disque, «Le temps des vivants», un clin d’œil au poète Gilbert Langevin. Vallières est entouré de cd, de papiers et de guitares. Il sourit. L’atelier du chansonnier qui dit aimer beaucoup Gérald Godin. Qui sait si, un jour, à l’instar de Steve Veilleux, chanteur de Kaïn, il ne se laissera pas aller à mettre en musique et chanter des poèmes de Godin? Il bûche chez lui, au sous-sol : «J’ai gardé mes vinyles en haut, mais j’ai descendu mes cd, car chacun représente un souvenir. J’aime ça pendant que j’écris d’en retrouver certains, avec les pochettes…» On comprend ainsi qu’il puisse s’inspirer en replongeant dans ses racines, tel un arbre qui souhaiterait pousser plus haut.

Il voulait prendre son temps avant de sortir de nouvelles chansons. Il a prévenu ses musiciens les plus proches de ne pas l’attendre, de partir chacun de son bord. Ensemble, ils sentaient qu’ils avaient besoin d’essayer d’autres choses. Vallières parle de «la fin d’un cycle». Sur «Le temps des vivants», il tâte un peu du slam, puis revient à la limpidité des guitares. Aujourd’hui comme hier, il ressent toujours «l’urgence de dire», à la hauteur de l’homme qu’il est. Ni plus, ni moins.

Francis Hébert

(pour L’entracte de novembre 2017)