Posts Tagged ‘Sylvie Paquette’

Anne & Sylvie

7 juin 2016

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Ces temps-ci, on remet le nez dans les poèmes, on les met en musique et on les chante. Citons Gaston Miron avec le collectif des «Douze hommes rapaillés» qui avait obtenu un bon succès critique et populaire. Ne passons pas sous silence le très réussi Thomas Hellman chante Roland Giguère ou l’inégal mais courageux cd de Steve Veilleux consacré à Gérald Godin. Sans oublier l’immense et fragile Chloé Sainte-Marie dont on avait souligné ici la dernière parution, le livre-disque «À la croisée des silences».

(Petite parenthèse, amis chanteurs, il faudrait penser à sortir vos livres-disques également en cd régulier, pour tous ceux qui veulent seulement écouter des chansons, pas les lire en grand format, surtout à ce prix.)

Au tour de Sylvie Paquette qui délaisse le temps d’un album ses paroliers habituels pour nous plonger dans la poésie d’Anne Hébert, décédée en 2000. La chanteuse avait mis en musique des poèmes dans le dernier Chloé Sainte-Marie, elle chantait déjà Marine de l’écrivaine québécoise dans son précédent opus. Avec «Terre originelle», Sylvie s’immisce dans les textes d’Anne et les fait résonner superbement de sa folk-pop caressante, sur des arrangements et une réalisation discrètement admirables d’Yves Desrosiers et Philippe Brault.

Contrairement à Brassens, Ferré ou Ferrat, qui remaniaient les poèmes pour les faire entrer dans le format de la chanson populaire, Sylvie Paquette est plus timide. Nous demeurons ainsi dans la chanson poétique de haute volée, mais qui ne risque pas de descendre dans la rue ou de s’envoler sur les ondes radiophoniques. Comme pour Hellman-Giguère, nous restons dans l’intimité du cénacle. «Terre originelle» est néanmoins un jalon important de la poésie chantée, qui a un cousinage certain avec le Saint-Denys Garneau du groupe Villeray. Des artistes à jamais liés, entrelacés, que le torrent emporte jusqu’à nos oreilles séduites.

Séduits, nos yeux le sont également par la très belle pochette, les illustrations et le design graphique élégants de Mathilde Corbeil.

Ode à Chloé Sainte-Marie

12 octobre 2014

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Jadis comédienne légère et muse chez Gilles Carle, Chloé Sainte-Marie est l’exemple parfait d’une reconversion réussie. Pour cela, il a fallu du temps, une volonté de dissimuler son ancienne image. Regardez la couverture du cd «Je pleure, tu pleures», on devine à peine que c’est elle, la silhouette floue. Elle y chantait bellement qu’elle mettait sa «robe heureuse». 1999, année de sa renaissance.

Depuis, elle continue sa route, humble colporteuse de la poésie québécoise. C’est elle qui a créé plusieurs des chansons des 12 hommes rapaillés. Maintenant, elle a passé le flambeau Miron et part vers d’autres sentiers, d’autres poètes. Après une parenthèse en innu, elle revient avec un double album essentiellement en français et consacré aux plumes québécoises. Bel objet que ce «À la croisée des silences». Les deux cd (un chanté, l’autre récité à voix nue) sont glissés à l’intérieur d’un livre qui reprend l’intégralité des poèmes interprétés, incluant les variantes que l’interprète apporte. Le tout accompagné de photos des artistes et des portraits de Chloé dessinés par le cinéaste Carle. L’exergue de Louise Dupré donne le ton:

«On pense s’être accoutumé à l’absence, mais il suffit d’un rêve pour se retrouver devant la nudité de la mort.»

La chanteuse a confié une quinzaine de poèmes aux compositeurs Yves Desrosiers et Sylvie Paquette. Tous deux réussissent à insérer leurs notes sous les mots, de manière à ce qu’ils puissent être portés par l’interprète. Nous restons ici dans le domaine de poésies chantées, elles ne sont pas transformées en chansons comme pouvaient le faire un Léo Ferré ou un Jean Ferrat. Ça demande une écoute plus soutenue, mais c’est d’une telle beauté que ça vaut la peine de s’y attarder. Si on excepte les titres signés par Claude Gauvreau qui jurent avec l’ensemble, on se laisse envoûter avec plaisir, et deux sommets sont ainsi atteints en chemin: Tu aimes les pommiers (Louise Dupré, musique de Réjean Bouchard et David Bergeron) et Il y a certainement quelqu’un, un collage d’Anne Hébert et Hector de Saint-Denys Garneau mis en musique par Sylvie Paquette.

Jorane joue du violoncelle et signe l’arrangement de Lui reste, mais c’est à Réjean Bouchard que l’on doit cette facture musicale classique et bienvenue à la fois, à base de guitare et de clavier généralement sobres.

Le deuxième cd contient 34 poèmes dits simplement par Chloé. Un seul bémol, la plupart des auteurs choisis sont décédés ou assez âgés. Si on pouvait écrire de nouvelles lettres à un jeune poète, on lui conseillerait de s’adresser à Sainte-Marie, et d’attendre qu’elle poursuive son boulot: magnifier nos mots. Et quand ceux-ci sont chantés, plutôt que dits, ils portent encore plus loin.

Mes préférences à moi

16 décembre 2013

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Que reste-t-il essentiellement de 2013 en chanson francophone?

Oui, je sais, ce sont mes préférences à moi. Assumons la subjectivité. On a fait l’impasse sur certaines parutions qui sont toujours trop abondantes pour une seule vie de toute façon. Beaucoup sont passées par nos oreilles, celles-ci restent plus chèrement en nous. Merci aux artistes de continuer à fabriquer des chansons en français et dans un habillage musical singulier, même dans le dépouillement, ce qui nous change de la bouillie sonore à la mode des dernières années.

Albums, maxis ou minis:

1) Léonard Lasry, Me porter chance

2) Sylvie Paquette, Jour de chance

3) Albin de la Simone, Un homme

4) Étienne Daho, Les chansons de l’innocence retrouvée

5) Les soeurs Boulay, Le poids des confettis

6) De Calm, Amour Athlétic Club

7) Vincent Delerm, Les amants parallèles

8) Gilbert Laffaille, Le jour et la nuit

9) Pierre Lapointe, Les Callas

10) Amélie-les-crayons, Jusqu’à la mer

Chansons de l’année:

1) Les soeurs Boulay, Mappemonde (paroles et musique de Stéphanie Boulay)

2) Gilbert Laffaille, Si tu n’es plus là (paroles et musique de Gilbert Laffaille)

3) Bernard Lavilliers, Villa Noailles (paroles et musique de Bernard Lavilliers)

Rééditions ou coffrets:

Artistes variés, Autour de Jack Treese

Le plus surestimé:

David Marin, Le choix de l’embarras

Phrase la plus drôle:

À propos du chanteur Louis-Jean Cormier qui a remporté plusieurs trophées aux divers galas de l’ADISQ 2013 : «Si Louis-Jean Cormier avait gagné un prix de plus, il ne lui serait resté que le gars qui a inséré le livret dans la pochette de son disque à remercier.» (Mathieu Charlebois, http://www.lactualite.com/culture/le-gala-de-ladisq-en-17-points-et-un-peu-de-mauvaise-foi/)

Je suis en retard mais c’est magnifique:

Les premiers 33 tours d’Isabelle Mayereau

Les derniers cd d’Anne Vanderlove

La cdgraphie de Pierre Delorme

Jean-Daniel Botta, Ammi-majus : Grand goûter

Aurélien Merle, Vert indolent

Aram Sédèfian, Instants volés – ballades

Barbara Deschamps, J’ai un pays à visiter

Dans mon hamac

18 juin 2013

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Troisième jour de suite aux Francofolies de Montréal. On a beau pester contre une programmation pleine de trous, il y a certains artistes qu’on est content de retrouver sur une belle scène extérieure – par un temps doux comme ce soir, c’est idéal. Celle de l’esplanade de la Place des arts est bien agréable, un peu isolée du bruit et des quidams. La foule s’y presse, souvent pour écouter.

Parmi les gens qui s’avancent pour ce récital d’une heure, un monsieur porte un sac du commerce La maison du hamac. Et on repense aussitôt à ce qu’on avait écrit il y a quelques années, alors que le Spectrum était encore debout et qu’on y passait plusieurs de nos soirées francofolles: s’installer un hamac dans le coin afin de ne rien rater et de bouger le moins possible.

Cette foule bigarrée venait retrouver ce soir Sylvie Paquette qui a fait paraître «Jour de chance» il y a quelques mois ce qui est pour l’instant le meilleur disque de chanson québécoise de 2013. On a aimé ses chansons intimistes folk-pop dès le début, et les réécoutes ne nous ont pas déçus.

Aux Francos, la chanteuse a été à la hauteur de ce qu’on espérait: simple, émouvante, magnifiant les textes qu’elle chante. Le genre d’interprètes qui doit réveiller des désirs d’écriture. D’ailleurs, elle n’a pas manqué de saluer le travail de ses paroliers pour Jour de chance: Martine Coupal, Dave Richard, Émilie Andrewes, Jeff Moran et Pierre René de Cotret. Il ne manquait qu’Anne Hébert, qu’elle a mise en musique sur l’album.

En chantant Ma nuit et Soleil d’Espagne, elle nous a aussi rappelé qu’elle savait écrire ses propres paroles avec talent.

Bizarrement, elle était entourée d’une formation musicale assez similaire à celle qui accompagnait Alex Beaupain dimanche: pas de batterie, un guitariste électrique (Rick Haworth), un claviériste et une violoncelliste. Mais contrairement à Beaupain, plus pianistique, elle a donné une ambiance résolument guitaristique à cette heure de plaisir.

Sur ce, en prévision de l’année prochaine, allons acheter un hamac. Mauve. Juste parce que c’est la plus belle couleur au monde. Et parce que Sylvie Paquette donne envie de s’étendre et de l’écouter chanter, encore et toujours,  et de mesurer la chance d’avoir une artisane de ce calibre sous nos cieux.

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crédit photo: Francis Hébert

Comme une évidence

19 mars 2013

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Il y a certains disques, il suffit d’écouter les premières secondes pour être séduit, happé par une voix, un frôlement de cordes. Comme une évidence. Le cinquième album de Sylvie Paquette, à paraître la semaine prochaine au Québec, est de ceux-là. Et me rappelle les frissons que procurait le premier maxi d’Émilie Proulx en 2007. Ça résistera aux réécoutes, on le sait déjà.

D’abord, il y a le soulagement de retrouver Paquette dans une réalisation sobre, à base de guitares acoustiques. Fini les petits bruits électroniques qui parasitaient le précédent opus, Tam-tam en 2007.  Pour remplacer Daniel Bélanger aux manettes, on a fait appel à Éric Goulet et Philippe Brault comme arrangeurs-réalisateurs. Le résultat frappe par sa justesse, une folk-pop qui sied parfaitement à la compositrice-interprète.

La chanteuse a le pouvoir de donner aux couplets de ses paroliers une puissance supplémentaire, une sensualité. Ces chansons touchent, et bouleversent souvent. Parmi les plus fortes, signalons Le banc de la plume de Moran et Le bonheur est ici de celle de Martine Coupal. On trouve également des textes de Dave Richard, Pierre René de Cotret, Émilie Andrewes et un poème d’Anne Hébert que Sylvie a mis en musique.

Une seule maladresse (texte et interprétation): le morceau Simone d’automne, dont on se serait volontiers passé (euphémisme). On n’aimait pas Ferland avec Simone est aux hommes, ni les hormones Simone de Sylvestre, et il faut croire que Simone est un mauvais prénom pour le chanter…

Autre chose qui augmente notre plaisir de mélomane en perpétuelle quête de grandeur, c’est la beauté de l’objet cartonné, la pochette, des photos où la chanteuse est plus resplendissante que jamais.

Avec le récent Albin de la Simone, voici le plus beau disque de 2013, qu’on a hâte de fréquenter de nouveau. On s’incline et on remercie pour ces jours de chance.

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Sylvie Paquette, Jour de chance (Audiogram)