Posts Tagged ‘Les soeurs Boulay’

L’âme à la tendresse

1 octobre 2020

Avec Les sœurs Boulay, c’est le coup de foudre instantané. Six ans après le premier album du duo,  nous sommes toujours sous le charme de ces couplets originaux, bien troussés, dans une langue savoureuse. Sur scène, entre deux larmes d’émotion, elles savent se moquer d’elles-mêmes. Leur dernière création, «La mort des étoiles», est d’une beauté pure, saisissante.

Dans la vie d’un amateur de chanson, il est des moments précieux. L’après-midi où, à la radio, on entend pour la première fois Vincent Delerm, magnétisé par Deauville sans Trintignant. Quand on découvre deux sœurs chanter Mappemonde et, plus tard sur disque, Sac d’école. Dès le départ, chez ces artistes, il y a un style original, unique.

Au bout du fil, Mélanie et Stéphanie Boulay sont là toutes les deux, leurs voix s’emmêlent à tel point qu’on ne pourrait jurer laquelle des deux vient de parler : «Euh, c’est Mélanie, là?», s’enquiert-on. Elles rigolent, elles ont l’habitude qu’on les confonde, et ne s’en font pas avec ça. Nous voilà prévenus. La confusion reste possible.

Ces filles débordent de créativité. Mélanie s’occupe de son bébé tout neuf.  Stéphanie a sorti un disque solo (le très beau «Ce que je te donne ne disparaît pas»), un livre pour enfants cet automne et dès 2016, un roman. Et c’est sans compter les projets parallèles, les collaborations, les émissions de télé. Elles sont partout et jamais on ne se tanne. Et que font-elles pendant le temps des fêtes ? «Des spectacles de Noël pour des levées de fonds, avec des amies comme Safia Nolin», déclare Stéphanie.

Le troisième opus du duo, «La mort des étoiles», a été lancé par le clip de Nous après nous, dans lequel on voit les deux jeunes femmes à la chasse aux animaux, images surprenantes quand on apprécie la douceur des deux chanteuses : «Ça a fait réagir beaucoup, on s’y attendait. La chasse a mauvaise réputation. On comprend pourquoi, mais nous, on a grandi dans une maison où ça faisait partie de la tradition familiale, notre grand-père et notre père chassaient. À travers ce clip, on voulait se questionner sur ce qu’on mangeait, en sachant d’où ça venait, et ce que ça représente de manger de la viande, même quand on ne chasse pas. On essaie de trouver les meilleures façons de consommer.» Mais elles ne comptent pas devenir véganes pour autant.

Pour le nouveau disque, les sœurs ont confié presque tous les arrangements et la co-réalisation à Connor Seidel. On doit au chanteur Antoine Gratton les cordes. «C’est une évolution vers un album plus étoffé, plus arrangé. Avant, on avait peur de laisser rentrer des gens de l’extérieur, on voulait conserver le son du duo. On a goûté au dépouillement, de se mettre à nues, d’être entourées par des guitares et que les textes soient mis de l’avant. Puis avec le temps, on a rencontré des artistes en qui on avait confiance, exceptionnels, dont Antoine Gratton. L’industrie musicale ne va pas super bien, on ne sait pas si nous pourrons continuer à faire des disques, alors on a eu envie de faire comme si c’était le dernier, de se donner les moyens. C’était le moment ou jamais de le faire.» À propos d’Antoine Gratton, c’est Stéphanie qui précise : «Il a changé ma vie, ma conception de la musique. Il nous a emmenées à sortir de notre coquille, à accepter nos failles.»

Parmi les nouvelles chansons, on peut écouter Au doigt et Il me voulait dans la maison, dont l’inspiration féministe rappelle un peu Une sorcière comme les autres d’Anne Sylvestre (également reprise par Pauline Julien et Jorane). Mélanie s’explique : «À mon sens, il s’agit d’une des plus grandes chansons féministes. Elle était avant-gardiste. On réalise que la situation des femmes a évolué, mais peut-être pas tant que ça. Ce sont toujours des sujets actuels. Le combat, à mener. Au doigt, c’est un post-mortem du mouvement Me-Too.»

Elles se remettent en question, mais elles le font avec grâce et talent. Même dans la contestation, elles ont l’âme à la tendresse. L’heure est plutôt à l’introspection qu’à la vindicte populaire. Elles écrivent leurs chansons en symbiose, comme elles s’expriment. La jolie pochette du nouveau cd parle d’elle-même : les sœurs s’enlacent doucement. On retrouvera cette communion sur scène, où ils seront quatre pour interpréter ce répertoire unique, où nous on nous promet quelques petites surprises.

Francis Hébert

(pour L’Entracte de mars 2020)

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Réalisateur de chansons

30 janvier 2017

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Le groupe Avec pas d’casque mélange la country, le folk, la pop, la désinvolture, l’humour absurde, servi par la plume de son chanteur, le cinéaste Stéphane Lafleur, que nous avons joint au téléphone pour parler du nouvel opus dans le cadre de sa tournée actuelle.

Un des phénomènes musicaux de la dernière décennie, au Québec, c’est Avec pas d’casque, qui continue de séduire et agrandir son bassin d’amateurs. La critique spécialisée l’encense. Il a une influence notable chez un artiste aussi vivifiant que Tire le coyote, dont il est proche. Auteur-compositeur-interprète, Stéphane Lafleur a également écrit des chansons pour Les sœurs Boulay. Mais il tient à garder son projet musical dans des dimensions humaines, indépendantes. Pas question de devenir une machine à succès : «La ligne directrice d’Avec pas d’casque, ça a toujours été le plaisir d’abord, l’amitié, la liberté de pouvoir faire ce qu’on veut. C’est précieux de pouvoir écrire des chansons et que personne ne te dise quoi faire ou de changer telle ligne, comme ça arrive plus souvent en cinéma où il y a plus de gens qui te lisent, où il y a plus de paliers. En cinéma, il faut convaincre plus de gens. En musique, on te laisse faire. Dans notre groupe, tout le monde a des idées de comment ça devrait sonner, comment on devrait faire la réalisation, alors on ne ressent pas le besoin d’aller chercher un réalisateur extérieur pour faire les albums.»

Au bout du fil, sur une route du Québec avec les musiciens, Lafleur semble détendu. L’humeur badine. Lorsqu’on lui rappelle une réplique hilarante de son dernier film («Tu dors Nicole»), il rigole. On doit également au cinéaste «Continental, un film sans fusil», primé de deux Jutra. Ce que l’on remarque beaucoup dans les chansons d’Avec pas d’casque, outre une voix traînante, c’est l’écriture qu’il y a derrière, le sens de la formule qui laisse pantois. Visiblement, Lafleur s’attelle on ne peut plus sérieusement à la conception des paroles : «Au début, je faisais de la musique en dilettante. Mon parcours académique est cinématographique. Avec le temps, le band a pris plus de place. Le cinéma est un processus plus lent où, entre l’idée et la sortie, il peut y avoir des années. La chanson, c’est plus direct, tu l’écris et tu peux la jouer le soir même. Mais le moteur commun qui me tient dans les deux médiums, c’est l’écriture. Je ne pense pas que je chanterais les chansons des autres.» Ce qui ne l’empêche pas d’admirer le travail de ses confrères, et il cite l’album «Maladie d’amour» de Jimmy Hunt en exemple.

Avec pas d’casque est désormais un quatuor. Il a lancé en 2016 un disque neuf : «Effets spéciaux», un titre qui fait sourire tant le groupe cultive l’art du minimalisme, du feutré, à mille kilomètres des sparages : «Le titre était en effet ironique. Contrairement aux précédents albums, il est venu à la fin, on avait fini d’enregistrer. J’aimais l’idée de cette expression-là, sortie de son contexte cinématographique. Mais il faut aussi dire qu’à ce moment-là, j’avais vu les premières ébauches de la pochette de Joël Vaudreuil, le batteur du groupe. Ces visages reliés entre eux par des bandes blanches qu’on ne sait pas trop c’est quoi. Les liens visibles ou invisibles»… Lafleur laisse la porte ouverte sur l’interprétation que chacun peut avoir. C’est un réalisateur de chansons mystérieuses.

Francis Hébert

(Pour L’entracte de février 2017)

Les soeurs Boulay: la Gaspésie comme si vous y étiez

20 mars 2016

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Photo :  Eli Bissonnette et Jeanne Joly

Les deux Gaspésiennes s’amènent avec un deuxième album sous le bras, le très réussi «4488 de l’Amour». Comme on les aime: pétillantes, tendres, éblouissantes de fraîcheur, rigolotes. Un vent original dans la chanson francophone.

Les soeurs Boulay ont déboulé dans nos vies et nous ont tout de suite séduits avec «Le poids des confettis» en 2013. Stéphanie et Mélanie. Ces guitares folks, avec une touche country, cet enthousiasme contagieux, l’humour, l’accent joual teinté de Gaspésie, avec des expressions, des prononciations bien à elles. On rit, certes, mais on s’émeut aux larmes avec des chansons comme Mappemonde ou Sac d’école. On craque. Impossible de résister. Mélanie, la cadette, revient pour nous sur les débuts du duo: «On chantait ensemble quand on était jeune, Stéph’ pis moi. Ma belle-mère nous disait qu’on devrait vraiment chanter ensemble, que ça marcherait, mais nous autres, on ne voulait rien savoir. On avait besoin de vivre chacune nos expériences.» En 2009, Stéphanie avait déjà fait paraître un maxi solo de cinq chansons, et participe ces jours-ci à un recueil collectif de nouvelles érotiques.

De la Gaspésie, les deux filles débarquent en ville: «Quand on est arrivées à Montréal, Stéph’ et moi avons habité ensemble. Un jour, où on était un peu déprimées toutes les deux, il faisait gris, j’étais couchée en boule dans mon lit. Ma soeur est venue me chercher dans ma chambre pour qu’on fasse une toune, pour nous faire du bien. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas chanté ensemble.» Elles enregistrent une reprise de Simon & Garfunkel, The Boxer, la proposent sur Internet.

Et la vague déferle: ça marche, on parle d’elles. Elles gagnent le concours des Francouvertes en 2012. Lancent avec succès un premier opus. L’an passé, un deuxième disque qui demande quelques écoutes pour l’apprivoiser, mais se révèle fin et accrocheur. Une écriture poétique personnelle qui rappelle Stéphane Lafleur (le cinéaste et chanteur d’Avec pas d’casque) et Tire le coyote. Ces plumes portent un regard en biais sur les choses du quotidien, un style curieux, imaginatif.

L’auteur-compositeur-interprète Philippe B réalise les deux albums des soeurs: «Philippe et nous, on se comprend bien dans la façon d’écrire. Ça a l’air vraiment simple, on part d’un événement banal, mais on essaie d’en faire une chanson qui est poétique. Son album « Variations fantômes », on l’a beaucoup écouté. On ne le connaissait pas personnellement, on se disait que ce serait trop beau qu’il accepte de travailler avec nous. C’est un gars tellement intelligent, qui comprend la musique. Il est arrivé avec quinze façons différentes d’aborder l’album, avec une vision presque plus claire que nous-mêmes de notre musique.» C’est tout naturellement qu’elles vont vers lui pour le deuxième: «On ne voulait pas reproduire exactement la même chose que le premier. De toute façon, avec la tournée, on avait un peu changé. Il y avait des guit’ électriques et des percussions qui s’étaient rajoutées. Les nouvelles chansons étaient un peu plus « couillues » (tu ne voudras sûrement pas écrire ça!), disons qu’elles avaient plus de drive… Mais on a gardé les voix en harmonie, car c’est ce qu’on aime faire, c’est ce qu’on est». Et qui fait une partie de leur charme.

Francis Hébert

(article pour L’entracte d’avril 2016)

Mes préférences à moi

16 décembre 2013

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Que reste-t-il essentiellement de 2013 en chanson francophone?

Oui, je sais, ce sont mes préférences à moi. Assumons la subjectivité. On a fait l’impasse sur certaines parutions qui sont toujours trop abondantes pour une seule vie de toute façon. Beaucoup sont passées par nos oreilles, celles-ci restent plus chèrement en nous. Merci aux artistes de continuer à fabriquer des chansons en français et dans un habillage musical singulier, même dans le dépouillement, ce qui nous change de la bouillie sonore à la mode des dernières années.

Albums, maxis ou minis:

1) Léonard Lasry, Me porter chance

2) Sylvie Paquette, Jour de chance

3) Albin de la Simone, Un homme

4) Étienne Daho, Les chansons de l’innocence retrouvée

5) Les soeurs Boulay, Le poids des confettis

6) De Calm, Amour Athlétic Club

7) Vincent Delerm, Les amants parallèles

8) Gilbert Laffaille, Le jour et la nuit

9) Pierre Lapointe, Les Callas

10) Amélie-les-crayons, Jusqu’à la mer

Chansons de l’année:

1) Les soeurs Boulay, Mappemonde (paroles et musique de Stéphanie Boulay)

2) Gilbert Laffaille, Si tu n’es plus là (paroles et musique de Gilbert Laffaille)

3) Bernard Lavilliers, Villa Noailles (paroles et musique de Bernard Lavilliers)

Rééditions ou coffrets:

Artistes variés, Autour de Jack Treese

Le plus surestimé:

David Marin, Le choix de l’embarras

Phrase la plus drôle:

À propos du chanteur Louis-Jean Cormier qui a remporté plusieurs trophées aux divers galas de l’ADISQ 2013 : «Si Louis-Jean Cormier avait gagné un prix de plus, il ne lui serait resté que le gars qui a inséré le livret dans la pochette de son disque à remercier.» (Mathieu Charlebois, http://www.lactualite.com/culture/le-gala-de-ladisq-en-17-points-et-un-peu-de-mauvaise-foi/)

Je suis en retard mais c’est magnifique:

Les premiers 33 tours d’Isabelle Mayereau

Les derniers cd d’Anne Vanderlove

La cdgraphie de Pierre Delorme

Jean-Daniel Botta, Ammi-majus : Grand goûter

Aurélien Merle, Vert indolent

Aram Sédèfian, Instants volés – ballades

Barbara Deschamps, J’ai un pays à visiter

Réjouissantes soeurs Boulay!

8 novembre 2013

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Mappemonde est sans doute une des plus belles chansons de l’année. On la doit à Stéphanie Boulay, paroles et musique. Fraîche, émouvante, originale. À l’image des soeurs Boulay (rien à voir avec l’Isabelle du même nom), qui ouvraient hier le Coup de coeur francophone devant un Club Soda plein à Montréal. Elles ont été réjouissantes d’humour, de chaleur, de charisme. Craquantes.

À la base, sur disque, il y des chansons pleines de saveur, singulières. Ça ne ressemble à rien de ce qui se crée en français, c’est joué mine de rien, l’écriture au service de l’émotion, pas pour faire des prouesses – comme tant d’autres qui aiment se regarder écrire… Mais n’oublions pas une chose.  Sur «Le poids des confettis», le premier cd du duo, il y a un artiste qui a fait un excellent travail à la réalisation et aux co-arrangements: l’auteur-compositeur-interprète Philippe B, un des trésors québécois les moins connus du public, mais les plus respectés du milieu.

Hier soir, au Club Soda, j’ai beaucoup pensé à Philippe B. D’abord, la dernière fois que j’avais ri autant pendant un spectacle, c’était à celui de Philippe B. Les soeurs et lui n’ont pas le même sens de l’humour, mais le résultat demeure: on éclate de rire, complices. Sur le cd, Philippe joue certains instruments en plus de convoquer ses propres musiciens. Sans rien enlever aux soeurs Boulay, «Le poids des confettis» est magnifié par son boulot de réalisateur-musicien-arrangeur.

Ceci dit, c’est sans lui que Les soeurs foulaient les planches du Club Soda et elles ont été épatantes, accompagnées essentiellement d’un guitariste et d’une tromboniste, en plus de leur propre guitare et ukulélé. Quelques nouvelles chansons ont été présentées, en plus de celles du premier opus et Au coeur des filles, tirée du maxi originel. Seuls les deux ou trois morceaux en anglais, qui n’avaient pas le même charme, diluaient l’intérêt. Globalement, c’est une centaine de minutes de plaisir que Les soeurs Boulay ont offerte. Et en sortant, on n’avait qu’une envie: les écouter encore.

En lever de rideau, ça a été autre chose. On espérait beaucoup mieux de la part de Catherine Leduc, elle qui était si pétillante et émouvante avec Tricot Machine. Est-ce la faute de la sono? On entendait très mal ce qu’elle chantait. La faute aux chansons, qui semblaient beaucoup moins originales et diversifiées qu’au temps du duo? On attendra son premier album personnel (prévu pour le printemps 2014) pour mieux juger.

Pour l’instant, la fraîcheur et l’émerveillement sont du côté des soeurs Boulay. Espérons que ça durera plus que le temps d’un disque stupéfiant.


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