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Les racines de Laffaille

25 novembre 2020

En voilà une chouette idée que ce coffret de trois cd. Il réunit les premiers vinyles de Gilbert Laffaille: six microsillons, et un 45-tours (1977-1988). En respectant l’ordre des albums originaux, et la chronologie. Ça paraît évident, la base de tout, et pourtant on ne le fait pas systématiquement. Parfois, on réédite par thèmes, on mélange les époques et ça frôle la cacophonie.

Le boîtier s’appelle «Les beaux débuts!», en référence à sa chanson ironique et drôle de 1980. Tout est là. Le premier album avec ses potacheries et ses classiques. Le troisième 33-tours, fabuleux «Kaléidoscope». Sur «Folie douce» (1983), on peut redécouvrir Jolis jeux du lit ou Le pays des chimères.

Parmi d’autres raretés, notons le 45-tours avec Neuilly blues (première version) couplée à la chaloupée La sole à Filou. C’est un vrai régal quand Laffaille se plonge dans ses influences brésiliennes. Sur le deuxième cd, on réécoute son fameux vinyle en public, à Chatou, intégralement bien sûr. On a le plaisir de retrouver Charlotte, marrant et délirant, la délicatesse tournoyante de La valse des chiffonniers et la très fine L’album, qui baigne dans un climat inquiétant sous des apparences légères. En cd, on ne trouvait jusqu’à présent que la face B de «Nettoyage de printemps», un de ses meilleurs disques en carrière. Voici enfin la face A, suivie de la face B! On croit rêver. Des pépites rescapées. La petite fille d’à-côté, entre fantaisie et tendresse, glaciale La tour d’ivoire et la version d’origine de La ballade des pendules, chantée, belle, admirable musique et indissociable du texte.

Et puis il y a le livret, copieux: tous les crédits artistiques, entrevue avec le chanteur, coupures de presse de l’époque… Dans celles-ci, on aurait voulu y être cité, mais à deux ans, on n’écoutait malheureusement pas encore Laffaille. Dans le boîtier, il ne manque que la reproduction des pochettes recto/verso mais on peut les trouver sur ce site de référence (en cliquant sur Plus d’images).

On s’est entretenu par courriel avec Gilbert Laffaille. Merci à sa générosité et pertinence. Pour ceux qui l’auraient raté, vous êtes cordialement invités à lire d’abord ce vieux préambule. Ainsi, vous saurez (presque) tout.

Q : Je crois que tu ne possèdes plus de tourne-disque. Comment écoutes-tu de la musique? CD, cassette, streaming?

R: J’écoute de la musique en CD. Parfois je pioche un morceau sur Internet et je regarde une vidéo. Pas de baladeur, pas de casque, pas de streaming, je déteste les fonds sonores et la musique omniprésente dans les lieux publics. Quand j’écoute je me pose, j’éteins mon téléphone et je ne fais que ça. Quand je lis c’est pareil. Quand je mange aussi. J’aime aussi beaucoup le silence.

Q : Dans ton livre de souvenirs, tu cites énormément de chanteurs dont certains sont
méconnus du grand public. Es-tu encore friand de découvertes musicales ?

R: Oui je cite ceux que j’ai pu croiser durant ces années où j’ai été actif dans la chanson et ses à-côtés. Dans ce livre, « Kaléidoscope », j’avais le souci de faire revivre une époque pour ceux qui s’intéressent à la chanson plus que de distiller des anecdotes vaseuses sur telle ou telle grande vedette. Je serais friand de découvertes si j’entendais des choses qui me plaisent. Mais c’est rare. C’est devenu l’exception quand tout à coup je monte le son de la radio.

Je crois que c’est inévitable avec l’âge. Sur une vie on peut encaisser beaucoup d’évolutions, beaucoup de changements… jusqu’au moment où l’on ne peut plus et où l’on n’en a plus envie. Parce que, à tort ou à raison, on a l’impression d’avoir fait le tour du sujet, qu’on devient un peu blasé et qu’il en faut beaucoup pour qu’on s’étonne encore. Quand on est jeune on s’oppose à l’esthétique des parents. C’est normal et c’est nécessaire pour pouvoir exister. Après, dans sa vie, on s’adapte, on évolue, on précède les changements, puis on les suit, puis on court après… Puis on s’arrête de courir et on sort de la course. S’il ne s’agissait que de s’intéresser à l’émergence de jeunes artistes ce serait bien. Mais il y a tout le reste : la production, la mode, l’industrie musicale, la force médiatique, la propulsion sur le devant de la scène de personnes qui n’apportent rien au plan artistique mais qui rapportent beaucoup aux producteurs. À la longue c’est lassant.

Pour conclure sur ce sujet, je te dirai que oui je suis friand de nouveauté artistique, d’innovation, de créativité. J’aime bien, par exemple, « Feu Chatterton » même si je ne vois pas très bien où ça va. Je trouve que les propos sibyllins, l’hermétisme, le 3ème degré, ça s’use vite, l’intérêt s’émousse, comme dans l’art contemporain où la frontière entre production sincère et charlatanisme est parfois bien mince. J’aime beaucoup Thibaud Defever également. Étant sorti de la course je crois que ma prochaine aventure, si je peux la mener à bien, sera un retour à la simplicité et à l’humilité du folk. À la limite, une voix, une guitare, une mélodie, un texte. Point. Quitte à être différent, autant aller jusqu’au bout.

Q: Avant que EPM te contacte pour le coffret «Les beaux débuts!», avais-tu déjà eu
l’envie de rééditer tes vinyles?

R: Disons qu’il y a là quelque chose de pratique, d’avoir tout sous la main, enfin tout… je veux dire les premiers vinyles.

Q: As-tu participé à sa conception, aux choix des photos par exemple ? J’aime beaucoup celle au Centre américain à Paris en 1976 (qui coiffe cet article)…

R: Oui bien sûr j’ai participé à toutes les étapes et ces photos viennent de mes archives
personnelles.


Q: Dans ce boîtier, il ne manque que le microsillon «L’année du rat». Pourquoi cette
absence?

R: J’ai toujours trouvé que dans cet album le mixage avait été raté. Qu’il faudrait reprendre les bandes originales et remixer le tout : présence de la voix qui est comme dans un caisson, changer les réverbérations, donner de l’espace, du relief. Il manque aussi beaucoup de présence. L’ensemble dégage une impression de tristesse qui n’est pas sur les prises. Nous aurions dû changer de studio et d’ingénieur pour le mixage : le faire avec d’autres oreilles. Mais remixer cet album aurait exigé un budget que nous n’avions pas et comme nous n’étions pas non plus propriétaires de ces bandes, cela devenait trop compliqué. C’est dommage car il y a de bonnes choses dans cet album.


Q: En revanche, «Folie douce» y figure, l’occasion de redécouvrir quelques belles
chansons. Il n’avait jamais été réédité en CD, pas même au Japon?

R: Oui c’est la première fois que « Folie douce » est édité en CD. Il y a peut-être eu un morceau ou deux édités au Japon mais pas l’album. C’est une belle redécouverte : un travail d’équipe avec mes amis musiciens, une volonté de moderniser l’esprit tout en restant proche des univers jazzy et latins que j’ai toujours aimés. Le son de cet album, réalisé au studio Davout avec Claude Ermelin, est impeccable. Il ouvrait une voie que je n’ai pas poursuivie par la suite. Pour de multiples raisons expliquées dans mon bouquin et qu’il serait fastidieux de rappeler ici.

Q: «Travelling», lui, est sorti à la fois directement en vinyle et en CD. C’est avec lui que se clôt le coffret. Ce son synthétique a-t-il bien vieilli selon tes goûts à toi ? Je suppose que non puisque tu as réenregistré quelques chansons sur le splendide «Tout m’étonne»…

R: C’est un peu plus compliqué. Disons que « Folie douce » a réussi là où « Travelling » a selon moi échoué. Je n’ai pourtant rien à reprocher aux musiciens qui ont travaillé sur ce disque. L’ensemble est cohérent. Et c’est moi qui ai voulu tout ça. Mais je me suis fourvoyé. C’était moi à une certaine époque mais c’était trop différent de ce que je suis profondément. J’ai voulu faire des choses que j’aimais et dont j’avais envie mais qui ne me ressemblaient pas. J’ai essayé. Je me suis lancé. Et… j’ai dérouté beaucoup de gens de mon public. Il aurait fallu prendre plus de temps, mettre un peu d’acoustique là-dedans, raccourcir les introductions, les codas, baisser les tonalités… En fait, faire un autre disque avec ces chansons-là ! Mais on ne sait que lorsqu’on a essayé.

Cela étant, « Travelling » a ses amateurs : mon beau-frère par exemple qui est un musicien de rock et qui ne jure que par cet album : c’est le disque de moi qu’il préfère ! Certains ont en effet trouvé intéressant ce virage pop-rock. Ça l’était, mais il aurait fallu quelqu’un d’autre pour le porter. Si on poussait le bouchon un peu plus loin on pourrait dire que c’est un bon disque mais pas de moi ! D’ailleurs même sur la pochette originale je ne me ressemble pas…

Q: Ceux qui avaient beaucoup aimé tes deux albums des années 90 seront peut-être
surpris de retrouver l’accordéon de Richard Galliano et la guitare de Michel Haumont dès le début de ta carrière! Comment se sont passées ces deux rencontres et collaborations ? Le meilleur disque d’Allain Leprest («Voce a mano») a justement été enregistré en duo avec Galliano…

R: Effectivement j’ai rencontré Michel Haumont et Richard Galliano dès le début de ma
carrière : Richard par le biais de Claude Nougaro que je fréquentais dans ces années-là, et
Michel qui était un des pionniers du Centre américain, berceau du mouvement folk français. Disons, pour replacer les choses, que lorsque je suis apparu sur le devant de la scène avec mon premier album, j’étais un vrai débutant : je n’avais pas dix ans de galère derrière moi. Je ne savais rien de ce métier, je n’avais aucune expérience. Tout s’est fait sur le tas… et sur le tard ! Quand j’ai commencé, Michel Haumont avait déjà réalisé plusieurs albums (il a enregistré son premier à seize ans) : jamais je n’aurais osé lui demander de travailler avec moi ! Et Richard, je le voyais sur scène avec Nougaro, Pierre Michelot, Maurice Vander… c’est pareil : jamais je n’aurais osé. C’est grâce au succès de mes premiers disques, la médiatisation dont j’ai bénéficié, ma notoriété d’alors, le fait que j’étais invité dans de grandes émissions comme Le Grand Échiquier ou Le Tribunal des Flagrants Délires que j’ai pu travailler avec ces deux grands musiciens (et d’autres encore !) J’ajoute que Michel et Richard ont aussi en plus de leur talent quelque chose qui devait nous réunir : l’un comme l’autre aiment la chanson. Ce qui n’est pas le cas de tous les musiciens qui accompagnent des chanteurs. Et c’est ce qui a fait la réussite de «Voce a mano», les deux artistes étant en osmose.


Q: Quels sont tes projets artistiques actuellement?

R: Je travaille sur un conte illustré pour enfants et sur un autre conte, musical celui-ci. J’ai aussi le projet de réunir mon théâtre et peut-être de monter un nouveau récital, dès que cela sera possible au niveau de l’épidémie. J’ai aussi collaboré à différents projets chanson qui n’ont pas encore vu le jour.


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Laffaille, l’air de rien

12 juin 2019

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Il est malin, Gilbert Laffaille. Il nous présente son nouveau bouquin, «Kaléidoscope», comme une autobiographie, mais c’est beaucoup plus que cela. Il y reprend la totalité de ses textes de chansons, ses sketches et des inédits. Il raconte son parcours, avec humour, finesse, sans jamais trop s’appesantir sous l’émotion. Il le fait comme dans sa chanson du même nom: l’air de rien.

Mais là où il va plus loin, la tête ailleurs, c’est lorsqu’il fait des digressions, nombreuses et longues. Parfois, c’est heureux, lorsqu’il parle de ses confrères artistes, de l’art en général, des pratiques du métier. On sent sa gourmandise, sa passion. D’autres fois, lorsqu’il se lance dans des propos sociaux-politiques, on trouve que l’auteur a soudainement la plume un peu lourde… Et on se demande ce que ça vient faire dans un livre sur la chanson.

Mais il est comme ça, le sieur Laffaille: généreux, ouvert aux autres et au monde. J’ai déjà raconté dans un précédent billet le lien personnel qui m’unit à lui. C’est toujours avec un penchant subjectif que je fréquente son oeuvre. Elle s’enrichit aujourd’hui d’une pierre importante. L’éditeur Christian Pirot a fait un sérieux boulot: une mise en page élégante, un index des personnes et des chansons citées. La préface est de Philippe Delerm, à qui on doit, faut-il le répéter, une des meilleures chansons d’Yves Duteil (Comme dans les dessins de Folon).

J’ai demandé à Gilbert Laffaille de répondre à quelques questions par courriel.

1) Es-tu un grand lecteur d’essais sur la chanson et les chanteurs? Si oui, quels sont ceux que tu préfères?

GL: J’ai chez moi une bonne bibliothèque d’ouvrages sur la chanson, biographies, autobiographies, oui. Cela m’a toujours intéressé de connaître la vie des artistes qui ont fait ce métier et de voir le regard qu’ils portent sur leur carrière et sur la vie en général. Malheureusement très peu sont vraiment intéressants, à peine un sur dix. Même les plus grands artistes ne trouvent pas toujours la manière de parler d’eux (ou leur biographes). J’ai beaucoup aimé l’autobiographie inachevée de Jean-Roger Caussimon, les livres de Marcel Amont, celui de Kent, ceux de Claude Semal et de Michel Bühler et également la biographie de Marie Dubas. Quelqu’un comme Marie-Ange Guillaume écrivait bien sur les chanteurs avec intelligence, humour et perspicacité. Son « William Sheller » est excellent. Mais apparemment on ne lui demande plus ce genre d’ouvrage.

2) Ton livre a une forme morcelée qui, plutôt que de suivre strictement la chronologie de ton parcours, s’autorise de nombreux sauts dans le temps. En parallèle, tu republies tes paroles de chansons déjà parues chez le même éditeur. Parle-nous un peu de ces choix… Ne devait-il pas y avoir aussi, à l’origine, un cd ou dvd pour accompagner le bouquin?

GL: Les ouvrages précédents étaient des sélections, un choix, un florilège. Là il s’agit d’une intégrale comprenant également des inédits et des chansons écrites pour d’autres. Il y a effectivement un DVD qui a été tourné et un projet de réédition des disques vinyles. Tout devait coïncider mais ça n’a pu finalement se faire. Il y a des problèmes techniques, des questions de droits, et on ne peut pas passer son temps à attendre, il faut avancer.

3) C’est une autobiographie assez singulière dans la mesure où tu évoques ta vie, mais qu’à de nombreuses reprises tu t’accordes de longues digressions sur la politique, la géographie, l’Histoire, etc. Était-ce par pudeur? Par peur d’ennuyer le lecteur avec des détails trop intimes?

GL: Pas du tout, non! Je pense que je me définis autant, si ce n’est plus, par ma façon de voir le monde et d’en parler que par tel ou tel détail biographique plus ou moins intéressant. L’intimité je veux bien, ça ne me gêne pas, mais il faut que cela ait une portée générale sinon ce n’est que de l’impudeur. Je parle de ma vie personnelle chaque fois que cela a eu une incidence sur ma création, c’est l’angle choisi. N’oublions pas: « Les dessous chic c’est ne rien dévoiler du tout » …

4) Tu parles dans ces pages de nombreux artistes que tu apprécies, des musiciens avec qui tu as collaboré, de tes proches qui t’ont inspiré des chansons et soutenu dans ta carrière. J’aimerais qu’on s’attarde sur l’arrangeur Jean Musy avec qui tu as fait ton deuxième album «Nettoyage de printemps»… Comment en es-tu venu à collaborer avec lui? À mon sens, c’est un disque très réussi, mais seule la face B a été rééditée en CD…

GL: J’ai rencontré Jean Musy car il travaillait avec mon amie Isabelle Mayereau. Nous nous sommes bien entendus et il a réalisé un beau travail. À l’époque il était extrêmement demandé, à la mode, et je pense que malheureusement il n’a pas pu me consacrer le temps qui aurait été nécessaire. Ce qui s’est passé en revanche par la suite avec Christian Chevallier. Avec le recul on voit les choses différemment. J’ai toujours travaillé avec de grands musiciens. Après, ce qui change, ce sont les conditions de production, l’argent, le temps, la disponibilité de chacun, la rencontre humaine. Ce sont finalement ces choses-là qui font la différence, quand on a la possibilité de prendre le temps de se connaître, d’approfondir, pas simplement d’assurer les séances d’enregistrement en un laps de temps limité.

5) Tu as eu pendant une vingtaine d’années des chansons qui tournaient à la radio, la presse spécialisée a toujours été de ton côté, tu passais même à la télé. Tu expliques pourquoi et comment le vent a tourné. Maintenant, j’ai lu dans un article récent sur ton livre qu’il faudrait que ta discographie soit disponible sur les plateformes numériques. Mais à l’ère où les gens écoutent des chansons en streaming, avec des vidéos YouTube, les chanteurs comme toi ne doivent à peu près rien toucher en redevances, non? Comment continuer sa vie d’artiste si même les mélomanes qui vous aiment se contentent du numérique?

GL: La question posée est: comment gagner sa vie ? Effectivement aujourd’hui elle se pose. Il y a une question d’âge, d’ambition. La problématique n’est pas la même si l’on a 20, 30, 40 ou 70 ans. Si l’on débute ou si l’on va vers la fin. L’état des lieux actuel, les conditions de production, de diffusion, le manque de bénéfices réalisé par les CD, les concerts, les DVD, ont évidemment des répercussions sur la création et la motivation. Même si l’on n’exerce pas ce genre de métier par appât du gain. Il ne m’est plus possible de passer des centaines d’heures sur l’écriture, la composition et l’élaboration d’un disque dans l’état actuel du marché, de l’écoute, voire de la compréhension, sachant que la plupart des programmateurs n’accueilleront mon travail qu’avec un petit sourire condescendant. Pour répondre à ta question « Comment continuer sa vie d’artiste ? », je crois que pour des gens comme moi ce n’est plus tellement possible. C’est pour ça que j’ai fait un livre et pas un disque. Ou bien si, l’on peut: en chantant bénévolement ou en se produisant à perte. Ou par plaisir.

6) Tu tournes désormais en formule piano/voix, qui te permet de voyager plus léger, d’amortir les frais et… de changer d’air musicalement. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas tenter des spectacles guitare/voix, où tu serais seul ou accompagné d’un guitariste?

GL: Oui, pourquoi pas ? Le piano est un orchestre à lui tout seul. Mais pour le remplacer sur mon répertoire il faudrait deux guitares – ce qui repose la question de la rentabilité – ou bien avoir des chansons qui supportent d’être jouées à une seule guitare. Ce n’est pas évident. Même chez Félix Leclerc ou chez Georges Brassens la guitare n’est jamais seule. Je trouve cependant que Thibaud Defever y réussit très bien. Dick Annegarn et Sanseverino aussi. Il faut être un instrumentiste parfait, parvenir à une complète indépendance des mains et de la voix. Mais on peut aussi avoir envie de faire quelque chose de ses bras, de ses jambes… Jacques Brel, Gilles Vigneault, Jean Guidoni, Les Frères Jacques!

7) Personnellement, je rêve d’une suite à «Tout m’étonne», un volume 2 de réenregistrements, toujours avec Michel Haumont aux guitares et arrangements. Ce serait l’occasion de revisiter de bonnes chansons oubliées… Dans un monde idéal, ça t’intéresserait?

GL: Oui bien entendu. Je ne suis jamais satisfait. J’aurais toujours envie de tout refaire. Mais la perfection n’existe pas. On ne peut que tendre vers un idéal inaccessible. Les potiers traditionnels japonais le savent bien qui laissent exprès un grain de sable sur leurs merveilles: on ne rivalise pas avec la Création. L’humilité est la mesure de l’homme. Ou devrait l’être… Un de mes projets fous – qui ne verra pas le jour – serait d’enregistrer un album avec une seule chanson! Dans douze versions différentes avec douze arrangements originaux. Plutôt guitare, plutôt piano, plutôt accordéon, électrique, acoustique, symphonique, minimaliste, slamé, rock, latin, ethnique, avec ambiances électro-pop, etc. Je crois que cela ne s’est jamais fait. Ce serait très intéressant. Il n’y a pas de version idéale. On peut aimer le caviar et les choux à la crème, les carottes râpées et l’agneau de sept heures, tout dépend du moment!

8) Internet me dit que tu as 71 ans. «Le jour et la nuit» est paru en 2013. À moins d’un revirement de situation dans le monde de la musique, ce sera vraiment ton dernier opus original?

GL: Franchement je crois que oui. C’est un tel travail, un tel investissement… Le manque d’intérêt des « grands » médias vis-à-vis de mon dernier CD « Le Jour et la Nuit » aura été à cet égard déterminant. À l’heure actuelle ce que je sais faire, ce que je voudrais faire, ce que j’aime faire, n’intéresse ni les éditeurs ni les producteurs ni les médias. L’écriture, les mots, les mélodies, le propos n’ont aucune importance. Il faut des chiffres. Si je vends beaucoup je suis un grand poète et un auteur essentiel. Sinon… Nous sommes nombreux dans ce cas. Le public n’a donc plus accès à une part importante de la création artistique. Ne lui parvient plus que ce qui a été prévu pour, formaté, estampillé. Cette logique sévit malheureusement dans tous les domaines. Le phénomène « grand public » s’étend partout, cinéma, théâtre, roman, humour, chanson… mais aussi nourriture, vêtements, produits de consommation. Tout est en voie de formatage.

9) Imagines-tu écrire d’autres bouquins? Sous quelles formes?

GL: Sans doute. Présentement je vais m’occuper de mes contes pour enfants et aussi de mon théâtre. Mais il n’y aura pas de « Kaléidoscope 2, le Retour » !

 


Gilbert Laffaille, Kaléidoscope, Christian Pirot, 2019

Distribution France: Les Belles Lettres.
Au Canada: Dimedia dlocas@dimedia.qc.ca

 

 

 

T’es vivant?

7 octobre 2017

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Faire des listes, c’est amusant, c’est ludique, c’est badin. Il n’y a que les vieux ronchons nostalgiques qui font la gueule, pendant que les autres débattent, s’indignent, s’émerveillent ou font des découvertes. Et même lorsqu’une liste est consternante de mauvaise foi et d’ignorance (à tout hasard celle des Inrocks sur la chanson française), elle reste stimulante pour nos neurones.

J’ai eu envie de dresser la liste non pas des cinq meilleurs enregistrements en public de la chanson française, mais de mes cinq préférés. On va se garder une petite gêne, un semblant de modestie. Je vous invite dans les commentaires à me faire part de vos choix.

Pour qu’un live soit intéressant, à mon sens, il faut que la foule ne se fasse pas trop entendre, que l’artiste ne blablate pas trop entre les morceaux, que le répertoire couvre une large période. Et si, en prime, on a des inédits jamais repris en studio, le bonheur est complet.

  1. Bernard Lavilliers, T’es vivant? (1978)

Olympia de Paris, mars 1978. L’inspiration de Lavilliers tutoie les sommets, et ses interprétations ont une puissance encore plus grande ici qu’en studio. Il dynamise Juke-box; Fauve d’Amazone; Les barbares; 15e round; Utopia; etc. Des inédits: Capoeira, et l’improvisation incandescente Soleil noir. Sans oublier une de ses chansons les plus déchirantes de toute sa carrière: Sax’aphone. On ignore si le cd de 73 minutes reprend l’intégralité du spectacle, mais on espère que non et qu’un jour on aura droit à une version complète deluxe.

2. Alain Souchon, Défoule sentimentale (1995)

Que dire? Deux décennies de carrière, qu’il revisite de manière explosive et émotivement juste. Et toujours meilleur qu’en studio. C’est particulièrement vrai pour Chanter, c’est lancer des balles; Manivelle; Les regrets; Courrier; Lettre aux dames; Somerset Maugham; Allo maman bobo; etc. Et ça termine sur un fil avec Les filles électriques. Qui laisse pantois. K.O.

3. Jacques Bertin, Café de la danse (1989)

C’est sur scène que Jacques Bertin est à son meilleur, là où il est le plus dénudé et investi. Les  arrangements studio le desservent la plupart du temps, depuis les années 80. Au Café de la danse, il magnifie ses propres chansons, reprend Ferré ou Mouloudji, crée Les nouvelles du soir et il donne une version magistrale de Les chants des hommes, une des plus belles chansons françaises de toute l’Histoire, spécialement dans cet enregistrement.

4. Étienne Daho, Live (2001)

Ses années 80 ont bigrement mal vieilli. Le Daho que j’aime (comme le Bashung d’ailleurs) commence au début des années 90. Daho atteint presque la perfection avec «Corps et armes» en 2000, avec Ouverture en apogée. Cet opus essentiel, il en interprète de larges parts sur ce double cd en public. Mais il n’oublie pas ses classiques nettoyés des arrangements d’origine: Le grand sommeil; en tête. On éprouve un réel plaisir à retrouver ainsi, épurées, ses Week-end à Rome ou Duel au soleil. Et on ne passera pas sous silence la vibrante interprétation de Sur mon cou, un texte de Jean Genet, musique d’Hélène Martin. Éclectique, raffiné et pop, ce très cher Étienne.

5. Maxime Le Forestier, Plutôt guitare (2002)

On ne le dira pas trop fort, mais Maxime Le Forestier a eu lui aussi sa part d’arrangements trop chargés, synthétiques. D’où ce double cd attrayant, où il rechante ses classiques accompagné uniquement par des guitaristes principalement acoustiques: Jean-Félix Lalanne, Manu Galvin et Michel Haumont. Bienheureuses chansons d’être ainsi portées par de tels musiciens. On savoure Comme un arbre; San Francisco; La visite; Ambalaba; Les deux mains prises; etc. Mais comme pour Lavilliers, on en aurait pris encore davantage. C’est un bon signe.

P.-S. En mettant un point final à ce billet, je me rends compte que cinq choix, c’est insuffisant. Il aurait fallu mettre le meilleur enregistrement de Jean-Roger Caussimon («Au Théâtre de la ville»; 1978); le meilleur Martin Léon («Moon Grill»), un ou deux Renaud (chansons réalistes?; «Un Olympia pour moi tout seul»?), Jane Birkin (Olympia 1996)… Et je sens que d’autres me viendront en tête dans quelques minutes…

P.-S. 2 Quelques minutes ont en effet passé, comment ai-je pu oublier ces deux perles de Georges Moustaki que sont «Bobino 70» et «Concert» (Bobino 73)? Je ne mériterai jamais les honneurs des Inrocks. Une vie gâchée, quoi.

P.-S. 3 Et il conviendrait d’ajouter «Sheller en solitaire» et son double cd «Olympiade»… Ainsi qu’Anne Sylvestre

La discothèque idéale # 21

30 août 2012

Gilbert Laffaille, Tout m’étonne (1996)

D’ordinaire, les mélomanes ne jurent que par les versions originales et regardent les reprises avec un peu de dédain. Pourtant, quand on réenregistre avec autant de talent et de doigté que Gilbert Laffaille avec Tout m’étonne, il faut s’incliner. On a affaire ici à une somme prodigieuse grâce, entre autres, aux arrangements sobres et incisifs du guitariste Michel Haumont.

L’auteur-compositeur français résume ici deux décennies de chansons singulières qui ont débuté avec Le président et l’éléphant, une satire du chef d’état de la France à l’époque, Valéry Giscard D’Estaing, et de son penchant pour la chasse. Ce titre connut un certain retentissement et on pouvait admirer le travail d’auteur: on se met dans la peau de l’éléphant, c’est lui qui cause. Texte féroce, drôle, fable admirable.

Laffaille manie l’art satirique en attaquant notamment les médias avec le désopilant Corso fleuri. Avec Neuilly blues, il se paie la tête d’artistes qui s’inventent un passé prolétaire… Le chanteur s’en prend également, toujours avec finesse ou humour, au racisme (Dents d’ivoire et peau d’ébène; Le gros chat du marché).

On retrouve aussi dans ce recueil de splendides chansons contemplatives (Tout m’étonne; Neige). Sans oublier le regard qu’il porte sur les choses de ce monde avec une sensibilité à fleur de peau (Deux minutes fugitives).

On passera rapidement sur deux morceaux «humoristiques» mais qui ne cadrent vraiment pas avec l’ensemble (C.Q.F.D; Les bigoudis par douze). Tout le reste est délectable, dont la chanson Sac à dos pataugas, voyageuse qui convie Kerouac et Rimbaud, et qui est belle comme une bohémienne à qui on s’attacherait et qu’on voudrait retenir le plus longtemps possible.

De Gilbert Laffaille, on aurait pu choisir pour cette discothèque idéale son dernier disque original, La tête ailleurs, qui date déjà de 1999 (et toujours avec Michel Haumont aux arrangements, ça ne trompe pas). En attendant la suite promise pour bientôt. C’est l’espoir qui resurgit.

(billet inédit; 30 août 2012)


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