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Ah, le mépris!

20 Mai 2020

Jean-Claude-Vannier

Cet ouvrage est paru en 2018, mais on y vient seulement maintenant. C’est du lourd: une analyse et une biographie de l’arrangeur Jean-Claude Vannier, reconnu pour sa collaboration avec Serge Gainsbourg (Melody Nelson, ce sont eux!). Il arrange et compose depuis les années 60 en France. Sa palette est très riche et large. Il est même accessoirement chanteur. Et on n’a jamais oublié la splendeur qu’il a concoctée avec Jane Birkin

C’est tout cela qu’on avait hâte de redécouvrir, d’approfondir, surtout que l’éditeur, Le mot et le reste, est digne de confiance et nous a donné d’excellents essais sur la musique jusqu’à maintenant. En 2020, on peut compter sur lui.

Or, en parcourant «Jean-Claude Vannier, l’arrangeur des arrangeurs», on devient vite perplexe. Chez les auteurs et chez Vannier lui-même, on perçoit un snobisme et un mépris envers certains artistes, même ceux avec qui le musicien a collaboré! L’écriture du bouquin est parfois confuse et maladroite.

Il y a un chapitre consacré aux collaborations dites importantes dans l’oeuvre de Vannier (Nougaro, Brigitte Fontaine, Michel Jonasz, etc.), mais aussi un autre qui répertorie celles plus épisodiques. Dans cette section, sur 50 pages, les essayistes énumèrent environ une centaine de références les plus obscures, des 45-tours et artistes oubliés, même des spécialistes. Et c’est parfait, car c’est ce qu’on recherche dans un livre sur un artiste que l’on aime déjà depuis longtemps: connaître mieux, creuser le sujet.

Vannier a signé des arrangements pour Nino Ferrer? C’est à peine mentionné. Sans doute que c’est trop connu de tout le monde… Et avec Julien Clerc? Un de ses meilleurs albums en carrière, «Terre de France» (1974), a été fait avec Vannier… Pas un mot! Pas possible. On consacre près de 400 pages à l’oeuvre gigantesque de Vannier, et on ne parle pas de Julien Clerc? Ça ne peut pas être un oubli puisqu’ils ont fait un travail de recherche monumental… Incrédule, on a posé la question aux auteurs, voici leur réponse: «Lors de la rédaction de la biographie de Jean-Claude Vannier, nous avons cherché à présenter les différentes facettes de son travail, que ce soit l’arrangeur ou l’auteur-compositeur-interprète, mais nous avons parfois écarté des disques qui nous semblaient d’importance moindre, à l’image de cet album avec Julien Clerc. De manière générale, nous n’avons pas particulièrement mis en avant les chansons qu’ils ont pu enregistrer ensemble.»

C’est bien ce qu’on soupçonnait dès les premières pages du livre: le snobisme et le mépris ont encore de belles heures devant eux. Ça nous coupe toute envie de se pencher plus en profondeur, avec sérieux, sur un tel ouvrage. On se demande comment un éditeur réputé comme Le mot et le reste a pu laisser passer ça… Ça nous fait penser à l’ironie savoureuse et à la moquerie marrante d’un Jehan Jonas lorsqu’il chantait en 1968 Le snâob:«Il aim’ Gréco/À ses débuts, seul’ment». Ah, le mépris! N’est-ce pas, Alain Souchon?

Et on se prend à rêver de ce qu’aurait pu donner un livre sur Vannier écrit par quelqu’un comme Bertrand Dicale: passionné, méticuleux, amoureux de la culture populaire, et ouvert.

Nino

11 septembre 2018

Nino-Ferrer

 

À l’été 1998, Nino Ferrer décidait de nous quitter, pour de bon cette fois, après avoir fui le grand public et le milieu artistique. Il voulait vivre en marge, et il nous laisse une brassée de grandes chansons mélancoliques (Ma vie pour rien; C’est irréparable; La rua Madureira; Oerythia; L’inexpressible; etc.) et des microsillons prodigieux (pour les meilleurs, citons «Enregistrement public» 1966; son chef-d’œuvre de rock progressif «Métronomie»; «Nino Ferrer & Leggs»; «Nino and Radiah»; «Blanat»; et enfin «Ex-libris»). Et ne boudons pas nos plaisirs primaires avec des bulles de savon humoristiques comme Les cornichons; Oh! Hé! Hein! Bon!; Madame Robert

À l’occasion de ce funeste anniversaire, l’éditeur «Le mot et le reste» publie «Nino Ferrer: un homme libre». C’est la deuxième fois qu’Henry Chartier consacre un ouvrage au chanteur. Chartier n’est pas à proprement parler un expert en chanson française. Il se présente plutôt comme «spécialiste des musiques actuelles». On lui doit des livres sur John Lennon, Serge Gainsbourg, Kurt Cobain, Christophe ou sur… le rock satanique. Ce qui peut faire peur, admettons-le. Au bout du compte, il analyse le travail de Nino de manière parfois fine, avec force détails (quelques fois trop), et en d’autres occasions superficiellement, multipliant les références culturelles pédantes et surtout inutiles. Et on ne parle même pas des comparaisons boiteuses entre Ferrer et ses collègues.

Cependant, l’important est ailleurs: dans l’énergie et la passion que met Chartier pour nous faire redécouvrir et approfondir le parcours de Nino. Il décrit la vie privée du chanteur, jusque dans des détails très intimes sur ses mœurs amoureuses. Mais ça aide à comprendre l’homme et l’oeuvre. Il s’appuie sur de nombreuses entrevues et textes de Ferrer ainsi que sur des entretiens réalisés avec ses proches et collaborateurs. Il explore longuement la carrière internationale de l’artiste, particulièrement en Italie. On retrouve également une discographie très riche, mais qui oublie quand même de citer le cd hommage à Nino Ferrer enregistré par des artistes québécois (ma critique d’origine ici).

Touffu, son bouquin est un bon complément à la bio de référence («Nino Ferrer, du noir au sud» de Christophe Conte et Joseph Ghosn, qu’on aimerait bien voir rééditée en poche, actualisée).

Chartier dresse le portrait d’un artiste fantasque et colérique, amusé et désabusé.