Lettre ouverte au Devoir
Réponse à Laurent Saulnier
Dans un article récent du Devoir, Sylvain Cormier signait un entretien avec le responsable de la programmation des Francofolies de Montréal Laurent Saulnier. Dans ce texte, qui ressemble à une complaisante causerie d’anciens combattants, Saulnier (jadis journaliste au Voir) explique que l’organisation des Francofolies de Montréal est allée le chercher pour rajeunir son public.
Saulnier raconte que les «vieux» (pour reprendre son terme si respectueux) devaient peu à peu disparaître pour redynamiser les Francos. C’est donc à cause de lui que, depuis quelques années, on assiste à une lente et sûre disparation de tout un pan important de la chanson française : les chansonniers, les chanteurs poétiques, les gratteurs de guitares. Bref, tous les descendants de Félix Leclerc et Georges Brassens : dehors ! On ne veut plus de vous. Les seules mentions que vous aurez, ce sont les soirées hommage où ce qui compte, c’est la nostalgie compassée. Pas la célébration d’une chanson vivante.
Il en existe pourtant beaucoup des chansonniers très créatifs, avec un répertoire bien à eux, qui continuent à écrire des chansons nouvelles. Par exemple, l’excellent auteur-compositeur-interprète belge Jofroi est au pays ces temps-ci, pour quelques récitals à Tadoussac, Québec, Sherbrooke, Montréal. Qui en parle ? Comment se fait-il qu’un tel artiste chante dans un petit bistro loin dans Montréal plutôt que dans un festival important ?
Ce type de chansons était défendu par Hélène Pedneault, dès qu’on lui confiait un micro (en remplacement, l’été). Ou Élizabeth Gagnon, à qui on doit la belle et défunte émission Chansons en liberté à la Chaîne culturelle de Radio-Canada, qui faisait de la place à ces chanteurs méconnus mais bouillants de sève. Qui diffuse désormais les Jacques Bertin, Jean-Marie Vivier, Jean Vasca, Morice Bénin ou Louis Capart ?
Notre époque macère dans le jeunisme, et Laurent Saulnier se fait ainsi le fossoyeur d’une certaine chanson française tout en prétendant tenir compte du goût de tous les publics ! C’est d’une incohérence rare !
Ces chansonniers que l’on écarte à Montréal, ils ont pourtant bouleversé plusieurs générations. Le producteur Pierre Jobin en fait encore venir à Québec. Le festival de Tadoussac y consacre une part de sa programmation. L’Atelier à l’Écart en accueillait encore à Longueuil il y a quelques années.
Mais pas à Montréal. Pas au plus gros festival. Où on dissimule, pour être dans le vent, des artisans importants, avec la complicité des médias. Pourtant, il suffirait de lui redonner un peu d’espace pour que des générations plus jeunes y prennent goût.