Posts Tagged ‘Jacques Canetti’

Immortelle Jeanne Moreau

4 décembre 2017

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C’est toujours un plaisir de retrouver les productions Jacques Canetti et leur travail soigné. Ils rééditent amoureusement leur catalogue. Voici une nouvelle compil de Jeanne Moreau, «Le tourbillon de ma vie». Elle couvre les années Canetti, visiblement celles qui ont le plus marqué la mémoire populaire, si on se fie aux nécrologies: Le tourbillon; J’ai la mémoire qui flanche; Jamais je ne t’ai dit

Ce florilège contient 29 titres, tous de la plume de l’écrivain Serge Rezvani (sous le pseudonyme Cyrus Bassiak). Il signe d’ailleurs un texte de présentation dans le livret illustré de belles photos de la demoiselle. Hélas, les 24 titres des deux microsillons originaux ne sont pas présentés dans le bon ordre, ce qui crée une distorsion entre les arrangements clinquants du premier (1963) et le minimalisme délicieux du second (1966). On doit ce minimalisme au même duo de musiciens qui enregistra «Gainsbourg confidentiel» (1964), Elek Bacsik (guitare) et Michel Gaudry (basse).

Pour compléter le programme cent pour cent Rezvani, on a mis Le tourbillon (version originale), une chanson de film (Embrasse-moi) et trois titres rares, mais déjà présents sur certaines compils (Je ne suis fille de personne; La fermeture à glissière et Minuit Orly).

Pour rappel, notons que l’étiquette londonienne Cherry Red avait déjà réuni les deux premiers vinyles de Jeanne Moreau dans le cd «The Immortal». Cette fois, l’ordre avait été respecté.

Maintenant, il serait peut-être temps qu’on se penche sur ses années Polydor, qui sont encore plus belles, et qui mériteraient des rééditions avec bonus. Pour «Jeanne chante Jeanne» (1970), elle a même écrit ses propres textes, son opus le plus personnel et le plus poignant. Sans oublier en 1968, «Les chansons de Clarisse». Deux 33-tours où la chanteuse quitte les rives de la légèreté, du badinage, et se présente sous un jour de tragédienne, qui lui va naturellement à ravir.

Dalida aussi est passée par là. Il suffit d’ouvrir les oreilles, et de balayer les préjugés.

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Une mosaïque française

18 novembre 2015

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Voilà le type de parutions qui émerveille. Un coffret au format vinyle contenant un joli panorama des albums du producteur français Jacques Canetti. Deux 33 tours (et deux cd qui en reprennent le contenu), une grande feuille reproduisant quelques-unes des belles affiches de spectacles des années 50 et 60, des photos, un son de qualité (haute résolution 32 bit), courts textes de présentations… Il ne manque que les paroles.

Une flopée de bonnes chansons de Jacques Brel, Georges Brassens, Boris Vian, Yves Montand, Cora Vaucaire, Juliette Gréco, Serge Reggiani, Serge Gainsbourg, Jeanne Moreau (Fille d’amour, à redécouvrir), Jacques Higelin tout jeunot, Brigitte Fontaine encore verte, Mouloudji, Monique Morelli… On revisite nos classiques, on retend l’oreille à des interprètes moins reconnus (Judith Magre, Éric Robrecht, Zette, Bee Michelin, Bruno Brel, le neveu de Jacques). Sans oublier quelques acteurs qui récitent de brefs extraits: Pierre Brasseur, Simone Signoret, Philippe Noiret.

Quelle joie de retrouver Catherine Sauvage dans cette version grandiose de À tous les enfants (Boris Vian / Claude Vence), chanson de révolte extrêmement poignante. Que ceux qui pensent connaître le répertoire français sur le bout du coeur tendent l’oreille: stupéfaction d’entendre l’actrice Emmanuelle Riva chanter de manière si émouvante! On cherche, on ne trouve pas de disque complet d’elle. Dommage!

Malgré la diversité des inspirations et des époques, ce double album a été assemblé avec soins, la cohérence artistique n’en souffre pas.

Une grande réussite qui donne envie de se remettre sérieusement à l’élégance du vinyle, avec des pochettes qui se déplient, et qui en mettent plein les yeux, à l’instar de ce «Les années Canetti – L’esprit chanson française».

 

La mémoire qui chante

12 mai 2014

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Grand découvreur de talents, Jacques Canetti a lancé sinon contribué aux carrières des Brel, Félix Leclerc, Brassens, Ferré, Béart, Gainsbourg, Mouloudji, Anne Sylvestre, etc. En 1962, il s’émancipe et fonde sa propre maison de productions discographiques. Il y privilégie la chanson dite d’auteurs pour la primauté accordée aux textes, mais les meilleurs soignent aussi les musiques et orchestrations. Et notons qu’on est essentiellement dans le règne des interprètes, alors que Canetti avait surtout découvert, dans la décennie précédente, des auteurs-compositeurs-interprètes (les fameux ACI).

Pour souligner les 50 ans des Productions Jacques Canetti, on réédite une pléiade de 33 tours qui ont fait époque. D’abord, quelques mots des coffrets «Les introuvables» (de quatre cd chacun). Couvrant la période 1964-1981, ils ne sont pas à proprement parler introuvables, disons plutôt qu’ils sont plus difficiles à dégoter depuis quelques années. Presque toutes les chansons de ces rééditions existaient déjà en cd, mais pas toujours dans le même emballage ou le même ordre. Pour qui aime les beaux objets, les pochettes d’origine, les œuvres pensées sous forme de vinyle 30 centimètres (une douzaine de titres, pour environ 35 minutes par opus), c’est déjà une sacrée bonne nouvelle.

Canetti avait du flair. Jugez un peu. Sur le volume 1 des Introuvables, on peut entendre Serge Reggiani qui chante Boris Vian, Jeanne Moreau qui interprète les chansons de Bassiak (l’écrivain Serge Rezvani) avec l’exquis guitariste jazz Elek Bacsik comme accompagnateur et arrangeur, la comédienne Judith Magre donne voix à la jeune auteure inconnue Esther Prestia (une réelle rareté !) et la très chère Catherine Sauvage qui reprend Ferré. Le volume 2 nous propose Magali Noël qui chante Vian, Moreau le poète Norge (son opus le moins intéressant en carrière*), la grande Cora Vaucaire et l’immense Monique Morelli, bouleversante avec des créations personnelles de poèmes d’Aragon (sur des musiques originales de son accompagnateur fidèle, l’accordéoniste Lino Léonardi). C’est d’ailleurs le poète lui-même qui signe une présentation enthousiaste du compositeur et de la chanteuse, reproduite dans la pochette.

Un troisième coffret paraît également, une anthologie de 4 cd de Boris Vian, pour qui Canetti s’est beaucoup démené, proposant à ses artistes de chanter l’auteur de «L’écume des jours». Le 33 tours que Reggiani lui a consacré en 1965 gagne d’ailleurs à être réécouté, avec du recul, en prêtant attention aux jolis arrangements de Louis Bessières et Jimmy Walter.

Parallèlement aux coffrets, plusieurs autres albums sont réédités à l’unité, en cd et/ou en vinyle : Serge Reggiani, Jeanne Moreau (son premier 33 tours avec J’ai la mémoire qui flanche), les premiers pas discographiques de Brigitte Fontaine et Jacques Higelin. On en passe, et si on scrute le catalogue Canetti, on peut espérer que ça ne s’arrêtera pas là. Pour la suite, on espère la remise en circulation des anthologies consacrées à Jacques Prévert (1975) et Jean Cocteau (1985) ou ce André Claveau chante René Fallet dont nous parle le livret…

Les rééditions sont accompagnées de textes de présentation, de photos, de dessins, etc. Tout est très bien fait, sauf la fente pour glisser les compacts dans la pochette (à l’horizontale), avec toujours un risque qu’ils s’égratignent. Quelques précisions sur le Cora Vaucaire chante les grands auteurs. Il s’agit de son récital au Théâtre de la Ville en 1973. La surface de mon exemplaire cd était égratignée alors qu’il n’avait pas encore joué… J’ignore si c’est seulement le mien. Par chance, il joue correctement malgré tout. Notons également que l’indexation des titres a été mal pensée: la présentation du morceau (parfois 30 secondes ou plus et d’un volume plus faible) est incluse au début de chacun, il faut se la taper chaque fois… Par contre, ce Vaucaire contient quantité de classiques qui devraient en ravir plusieurs: La chanson de Prévert ; Comme au théâtre ; J’entends, j’entends ; Frédé ; Trois petites notes de musique ; Les feuilles mortes… Mais on peut préférer, dans le catalogue Canetti, les chansons créées spécialement pour l’occasion, des textes de Vian, du Jacques Higelin ou Serge Reggiani, et ce Judith Magre (1976) avec du matériel entièrement neuf !

Ces trésors plus ou moins cachés sont reparus en France en 2012, les voici au Québec. L’heure est aux réjouissances pour les amoureux de la chanson française d’une autre époque, tour à tour jazzy, moqueuse, canaille, théâtrale, ou simplement majestueuse, mitonnée de piano et d’accordéon.

*Sur cette nouvelle réédition de Moreau chante Norge (2012), les titres des chansons sont parfois erronés, dans la mesure où ils ne correspondent pas aux bons morceaux (par exemple pour Peuplades et Chanson à tuer). Aussi, l’ordre des titres n’est pas le même que sur l’édition de 2002 de Polydor/Canetti.

P.-S. Sur le site officiel des Productions Canetti, on propose aux artistes d’envoyer leurs maquettes. Si certains veulent tenter leur chance, c’est ici.

P.P.-S. J’ai trouvé le titre de ce billet en hommage à la chanson de Jeanne Moreau, puis je me suis rappelé qu’un autre blogue en utilisait également une forme.


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