Posts Tagged ‘Gérard Pierron’

Traversées (8)

12 décembre 2020

Allain Leprest chantait que le génie est bizarre. Eh bien, l’inspiration, c’est pareil. Certains artistes ont de bonnes périodes, et d’autres alternent les bons et les mauvais disques au cours de la même époque. Ainsi, un Gérard Pierron peut être grandiose avec son copieux album consacré à Louis Brauquier, mais beaucoup moins avec d’autres opus très longs. Mais difficile de demander à un tel artiste d’être moins généreux ou plus sévère envers son travail. Et puis, qui sait?, une chanson peut plaire à l’un et pas du tout à l’autre, même si les deux auditeurs aiment tous les deux cet artiste…

Donc, ce cher Gérard Pierron, un des meilleurs mélodistes de la chanson française poétique, qui nous bouleverse depuis son premier microsillon en 1977, vient d’en faire paraître un nouveau, «Good-bye Gagarine», du titre d’une chanson déjà interprétée par son parolier Allain Leprest, et que nous n’aimions déjà pas dans sa version d’origine, et guère plus ici. À l’instar de quelques titres du disque, qui nous semblent poussifs.

Par contre, on trouve une douzaine de jolis morceaux, et ça serait fâcheux de les louper. Par exemple, Tuileries de mes peines (texte de Raymond Queneau), Caressons-nous (Céline Caussimon), Rondeau de la nature (Charles d’Orléans), Pluie d’été (Louis Brauquier), Paris est vide sans toi (reprise de Claude Astier)… Et Pierron signe lui-même, paroles et musique, ce qui est peut être le meilleur cru de cet opus: Regarder la Loire.

Notons que la couverture est une peinture de René Claude Girault et que le livret est riche de mots et d’images, mais qu’il est un peu trop touffu, comme le cd qu’il accompagne…

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Poursuivons avec deux courts albums très beaux.

Celui de Brigitte Saint-Aubin qui renoue avec le folk dépouillé sur «Chansons nues» (2015), enregistré conjointement avec le guitariste Denis Ferland. Émouvante réinterprétation de quelques-uns de ses anciens morceaux. Une version cd est disponible à ses spectacles, et on peut l’écouter sur sa page Bandcamp. Sous le charme.

Et celui de Léonard Lasry, essentiellement piano/voix, écrit pendant le confinement avec sa comparse de toujours, Élisa Point. La chanson titre Se revoir peut-être est en écoute ici. Un nouvel opus de pop plus étoffé est prévu pour cet hiver.

N’oublions pas cette réjouissante surprise: un maxi de six titres de Johnny Pilgrim (pseudo de Jean Pellerin, un Québécois qui vit à Los Angeles): «Sur la trace de Tex Lecor» où il reprend de vigoureuse manière de vieilles chansons du peintre-chansonnier. Une suite est déjà prévue mais pas encore enregistrée, et un album complet devrait voir le jour. Pour le moment, il faut se contenter du numérique. Mais quel projet exaltant qu’on peut découvrir ici. C’est l’omniprésent Éric Goulet qui a fait la réalisation en plus de jouer divers instruments, conjointement avec les Mountain Daisies.

En terminant, notons que le dernier album de Sandra Le Couteur (dont j’avais parlé dans ce billet) sortira sous peu en 33-tours. Splendide. Il devrait être disponible sur le site de la chanteuse acadienne et chez les différents disquaires spécialisés.

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Trésors exhumés

9 septembre 2018

pierron 1-2

En 2016, l’étiquette française Frémeaux & associés avait publié une première et puissante anthologie de Gérard Pierron (ma critique ici). En voici la suite, «Trésors perdus», quatre cd pour couvrir la période 1981-2013. Les grandes chansons poétiques et sociales n’y manquent pas, chantées d’une voix sobre, belle, frémissante. Parmi les plus fortes, citons Scheveningue, morte saison; La rue des ciseaux dorés; Le marchand d’oranges… On regrettera que son troisième microsillon (1981) ne soit pas intégralement repris ici, mais il paraît que Pierron n’a jamais été satisfait du mixage original du vinyle, pourtant un de ses meilleurs albums en carrière. Pour nous consoler, d’autres extraits du même 33-tours avaient été réédités sur la première anthologie.

Sur la nouvelle, on trouve de généreux extraits du double album «Plein chant» et la totalité de «Carnet de bord». On peut y redécouvrir avec plaisir Le maître et la boule (tirée de «Chansons en charentaises»). Les choix y sont généralement judicieux, la pochette très belle (que l’on doit encore une fois à René-Claude Girault), le livret, riche en documents. On aurait juste aimé qu’il n’y ait pas de fautes dans les titres des morceaux, parfois écrits d’une manière (dans le livret) et parfois d’une autre (sur le verso du boîtier) – sans oublier l’emploi de majuscules fautif.

Sur le cd 2, on renoue avec une pièce maîtresse de la chanson poétique française, puisqu’on le réédite intégralement et dans le bon ordre: «La chanson d’escale» (1990), des textes du poète marin Louis Brauquier, mis en musique par Pierron, avec des arrangements et l’accordéon de Richard Galliano. C’est époustouflant. Une oeuvre à faire chavirer le coeur.

Dans le dernier numéro de la revue Hexagone, on apprend que Pierron travaille actuellement à son prochain disque qui devrait être un duo accordéon/voix. Une formule peu utilisée, mais qui a donné le chef-d’oeuvre de Leprest «Voce a mano» (qui fait partie de ma discothèque idéale). Tout permet de croire que Pierron saura se hisser à cette hauteur, lui qui nous bouleverse depuis des décennies.

Mélodies anarchistes

20 mai 2016

recto

Il y a une vingtaine d’années, le vinyle tombait en désuétude et on pouvait arpenter les disquaires d’occasion à la recherche de trésors. Et on en trouvait encore, à des prix dérisoires. Un jour, au hasard, j’ai mis la main à Montréal sur le premier album de Gérard Pierron, attiré par la pochette où figurait la photo d’un vagabond de dos, par les titres, je ne sais quoi… J’ai posé l’aiguille dans le sillon du 33-tours et… J’ai entendu la voix de ce gars, les premières notes entêtantes, et je savais déjà que le choc serait fort. Il l’a été, et dure encore deux décennies plus tard. Ça s’appelait «La chanson d’un gâs qu’a mal tourné», sur lequel on pouvait entendre les textes anarchistes du poète français Gaston Couté (1880-1911). Chantés par Pierron et dits par Bernard Meulien. Une puissance, une originalité. La langue résonnait du patois beauceron qui ressemble étrangement au joual du Québec.

Naturellement, une telle merveille n’était pas rééditée en cd. Il fallut attendre. Longtemps. Très longtemps. Saravah avait annoncé la parution d’un coffret de Gérard Pierron autour de l’oeuvre de Gaston Couté il y a une quinzaine d’années. Ça ne s’est jamais fait. Par bonheur, Frémeaux & associés a pris le relais.

C’est une rétrospective, pas une intégrale, avec ce que ça comporte de choix parfois discutables. Mais globalement, c’est un concentré de chansons poétiques pleines de révolte et de désespoir, dont le souffle lyrique rappelle le «Il n’y a plus rien» de Léo Ferré. On s’en prend plein la gueule. Et on en redemande. Le boîtier contient 3 cd et couvre la période 1977-2008.

Sont repris quasi intégralement les deux premiers microsillons de Gérard Pierron, son enregistrement en public de 1992 et celui de 2008 où il est accompagné sur quelques morceaux par son vieux complice Bernard Meulien ou de la Québécoise Hélène Maurice. Toutefois, on remarquera qu’une erreur se trouve sur le cd 3: la très belle chanson «Le patois de chez nous» y figure mais on a oublié de noter le titre sur la pochette, ce qui crée ensuite un décalage (19 titres sur le cd, et non 18).

Ce sont des détails qui n’entachent pas la joie de retrouver les chansons de cet artiste majeur qu’est Gérard Pierron, et cet auteur cinglant qu’était Gaston Couté. Comme toujours, l’éditeur a soigné sa besogne et offre un livret de 28 pages avec le coffret, incluant une courte bio, des témoignages, des photos, des textes du poète… À noter que le joli et expressif dessin de couverture est signé René-Claude Girault.

Frémeaux a aussi réédité récemment le cd thématique de Pierron «Chante vigne, chante vin» avec en prime, par rapport à l’édition originale de 2000, une reprise de L’âme du rouquin de Léo Ferré. Sur cette galette viticole, on peut entendre un des titres les plus enivrants de tout son répertoire: La fin de l’aventure.

On espère que l’éditeur ne s’arrêtera pas en si bon chemin et reprendra intégralement les troisième et quatrième 33-tours de Pierron qui contenaient des perles qu’il serait dommage de laisser englouties sous le vinyle.

Couté ne faisait pas que vociférer contre les injustices sociales. On peut écouter ici une chanson d’amour cruelle et poignante de Pierron-Couté: Les cailloux. Mais il ne faudrait pas non plus oublier que Gaston Couté continue d’intéresser les générations plus jeunes. À preuve, cette splendide version de son texte Jour de lessive, chanté par Elie Guillou (le fils du chanteur breton Gérard Delahaye).


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