
Avec Les sœurs Boulay, c’est le coup de foudre instantané. Six ans après le premier album du duo, nous sommes toujours sous le charme de ces couplets originaux, bien troussés, dans une langue savoureuse. Sur scène, entre deux larmes d’émotion, elles savent se moquer d’elles-mêmes. Leur dernière création, «La mort des étoiles», est d’une beauté pure, saisissante.
Dans la vie d’un amateur de chanson, il est des moments précieux. L’après-midi où, à la radio, on entend pour la première fois Vincent Delerm, magnétisé par Deauville sans Trintignant. Quand on découvre deux sœurs chanter Mappemonde et, plus tard sur disque, Sac d’école. Dès le départ, chez ces artistes, il y a un style original, unique.
Au bout du fil, Mélanie et Stéphanie Boulay sont là toutes les deux, leurs voix s’emmêlent à tel point qu’on ne pourrait jurer laquelle des deux vient de parler : «Euh, c’est Mélanie, là?», s’enquiert-on. Elles rigolent, elles ont l’habitude qu’on les confonde, et ne s’en font pas avec ça. Nous voilà prévenus. La confusion reste possible.
Ces filles débordent de créativité. Mélanie s’occupe de son bébé tout neuf. Stéphanie a sorti un disque solo (le très beau «Ce que je te donne ne disparaît pas»), un livre pour enfants cet automne et dès 2016, un roman. Et c’est sans compter les projets parallèles, les collaborations, les émissions de télé. Elles sont partout et jamais on ne se tanne. Et que font-elles pendant le temps des fêtes ? «Des spectacles de Noël pour des levées de fonds, avec des amies comme Safia Nolin», déclare Stéphanie.
Le troisième opus du duo, «La mort des étoiles», a été lancé par le clip de Nous après nous, dans lequel on voit les deux jeunes femmes à la chasse aux animaux, images surprenantes quand on apprécie la douceur des deux chanteuses : «Ça a fait réagir beaucoup, on s’y attendait. La chasse a mauvaise réputation. On comprend pourquoi, mais nous, on a grandi dans une maison où ça faisait partie de la tradition familiale, notre grand-père et notre père chassaient. À travers ce clip, on voulait se questionner sur ce qu’on mangeait, en sachant d’où ça venait, et ce que ça représente de manger de la viande, même quand on ne chasse pas. On essaie de trouver les meilleures façons de consommer.» Mais elles ne comptent pas devenir véganes pour autant.
Pour le nouveau disque, les sœurs ont confié presque tous les arrangements et la co-réalisation à Connor Seidel. On doit au chanteur Antoine Gratton les cordes. «C’est une évolution vers un album plus étoffé, plus arrangé. Avant, on avait peur de laisser rentrer des gens de l’extérieur, on voulait conserver le son du duo. On a goûté au dépouillement, de se mettre à nues, d’être entourées par des guitares et que les textes soient mis de l’avant. Puis avec le temps, on a rencontré des artistes en qui on avait confiance, exceptionnels, dont Antoine Gratton. L’industrie musicale ne va pas super bien, on ne sait pas si nous pourrons continuer à faire des disques, alors on a eu envie de faire comme si c’était le dernier, de se donner les moyens. C’était le moment ou jamais de le faire.» À propos d’Antoine Gratton, c’est Stéphanie qui précise : «Il a changé ma vie, ma conception de la musique. Il nous a emmenées à sortir de notre coquille, à accepter nos failles.»
Parmi les nouvelles chansons, on peut écouter Au doigt et Il me voulait dans la maison, dont l’inspiration féministe rappelle un peu Une sorcière comme les autres d’Anne Sylvestre (également reprise par Pauline Julien et Jorane). Mélanie s’explique : «À mon sens, il s’agit d’une des plus grandes chansons féministes. Elle était avant-gardiste. On réalise que la situation des femmes a évolué, mais peut-être pas tant que ça. Ce sont toujours des sujets actuels. Le combat, à mener. Au doigt, c’est un post-mortem du mouvement Me-Too.»
Elles se remettent en question, mais elles le font avec grâce et talent. Même dans la contestation, elles ont l’âme à la tendresse. L’heure est plutôt à l’introspection qu’à la vindicte populaire. Elles écrivent leurs chansons en symbiose, comme elles s’expriment. La jolie pochette du nouveau cd parle d’elle-même : les sœurs s’enlacent doucement. On retrouvera cette communion sur scène, où ils seront quatre pour interpréter ce répertoire unique, où nous on nous promet quelques petites surprises.
Francis Hébert
(pour L’Entracte de mars 2020)