La chance aux chansons (2)

9782841678129

C’est un bouquin fascinant que signe ici l’auteur français Baptiste Vignol. Un ouvrage de référence pour les amoureux de la chanson francophone, qui aura mis des années avant de voir le jour : «Le top 100 des chansons que l’on devrait tous connaître par cœur».

Vignol a demandé à 276 artistes de la variété française quelles étaient leurs dix chansons préférées. Ceux qui ont répondu sont de différentes générations, de styles variés, principalement de France mais aussi de Suisse ou du Québec.

Ainsi, on a la bonne surprise de voir Pierre Lapointe citer Renaud, Michel Faubert qui désigne Émilie Proulx, l’incrédulité devant les choix de Bertrand Burgalat (de Gainsbourg à… Ginette Reno). On a le plaisir de ne pas être seul à vénérer certaines chansons moins connues (Ouverture de Daho, Le dégoût de Souchon) et qui sont des chefs-d’œuvre.

Naturellement, les 100 titres choisis sont souvent les plus évidents et causeront bien peu de surprise au lecteur averti (La javanaise, Avec le temps, Ne me quitte pas, etc.). Mais les amateurs plus pointus prendront leur pied à lire chacune des listes reçues par Vignol, qui les publie toutes : celles des artistes mais aussi celles des 69 «spécialistes» sollicités (journalistes, blogueurs, etc., dont moi, je le reprécise). Là, il y a des découvertes à faire…

Les 100 lauréates (et quelques autres en prime) ont droit à une présentation historique ou esthétique. Ici, la rigueur et l’érudition priment. Vignol a consulté pas mal d’ouvrages, d’entrevues sur la musique. Les citations d’artistes sont nombreuses. Malheureusement, certaines erreurs se faufilent quand même : notamment dans la notice qui accompagne La vie d’artiste de Léo Ferré, certains titres de chansons (fournis par les artistes eux-mêmes) sont erronés ou Suzanne Vega dont le nom est écorché. Mais ce sont des points de détail.

En survolant ces listes, on peut constater que certains font preuve d’ethnocentrisme (les Français citent les Français, les Québécois les Québécois), que les choix sont souvent générationnels avant d’être esthétiques (sinon, que viendraient faire les Rita Mitsouko dans ce palmarès ?). La chanson est un art qui mise beaucoup sur les sentiments, les souvenirs, ça explique d’autres bizarreries comme ce triomphe fait à C’était bien – le petit bal perdu, une bluette sympathique mais qui ne mérite pas du tout sa 19e place !

Chouette idée aussi que celle de reproduire telles quelles certaines réponses reçues (par courriels ou lettres). Ce témoignage de la grande Michèle Bernard est particulièrement judicieux. À la fin de sa liste, elle ajoute : «Celles qui restent, bien sûr, ne sont jamais les plus légères…».

Parmi mes choix, une chanson de Michèle Bernard aurait pu y figurer pour sa puissance poétique, sa perfection : Je t’attendais ainsi qu’on attend un navire, sur un poème de René-Guy Cadou.

L’essai de Vignol est un indispensable témoignage, que l’on consultera encore pendant des années avec intérêt. Toutes ces chansons que l’on connaît, toutes celles à découvrir, on a envie des les aimer encore plus fort.

Voici la deuxième partie de mon entretien avec Baptiste Vignol.

1) Est-ce que ça a été difficile de sélectionner les personnes sondées, en écarter certains, et obtenir leurs listes ? Travail de longue haleine ?

BV: Je n’ai sollicité que des auteurs et/ou compositeurs et me suis efforcé de contacter les artistes dont des chansons apparaissaient dans les Top 10 que je recevais au fur et à mesure. Ainsi ai-je commencé ma collecte en approchant quelques figures majeures (Anne Sylvestre, Renaud, Georges Moustaki, Charles Aznavour, Françoise Hardy, Lynda Lemay, Juliette, Kent, Pierre Lapointe, Allain Leprest, etc) puis j’ai contacté les chanteuses et chanteurs qui figuraient dans leurs préférences, ce qui a peu à peu élargi l’éventail.

2) Certains artistes majeurs n’ont pas fourni leur liste (Julien Clerc, Maxime Le Forestier, Jacques Higelin…). Pourquoi?

BV: Ces trois-là n’ont pas souhaité répondre à cette question pourtant toute enfantine, «quelles sont vos dix chansons préférées?», comme les gamins se demandent: «C’est qui tes copains préférés.» Dommage. Mais au final, leurs partitions n’auraient rien changé au classement. Notons d’ailleurs que Julien Clerc ne figure pas dans le Top 100, pas plus que Pierre Perret par exemple, ce qui est étonnant, mais c’est aussi l’intérêt de ce bouquin.

3) Quel est l’artiste, mort ou vif, dont vous auriez voulu la liste à tout prix ?

BV: Charles Trenet.

4) Est-ce que seul le vote des artistes comptait pour le palmarès des 100 chansons, sauf dans les cas d’égalité, où les spécialistes tranchaient ?

BV: Il s’agit du classement des chansons préférées des chanteurs francophones. Forcément, certains titres arrivaient à égalité de voix, j’ai alors décidé, pour affiner autant que possible ce palmarès, de demander à des «spécialistes» la liste de leurs dix chansons préférées. Il reste néanmoins encore des égalités!

5) On constate un certain conformisme dans les listes des artistes… Toujours les mêmes chansons qui reviennent, les morceaux les plus connus. Sauf exceptions. Ne voyez-vous pas un paradoxe dans le fait que ce sont les créateurs qui semblent le moins connaître la chanson?

BV: Je ne suis pas d’accord avec vous. Les chansons citées, en tout cas la grande majorité, passent très rarement sur les radios françaises! Brassens n’y passe plus, Trenet non plus, ni Barbara, encore moins Ferré ou Anne Sylvestre. «La mémoire et la mer» n’est jamais diffusée sur les ondes en France, pas plus que «La Folle complainte» de Trenet, «Syracuse» de Salvador, «Pierre» de Barbara, «Saturne» de Brassens ou tant d’autres chansons qui figurent en bonnes places dans cette anthologie.*

6) Dans le palmarès, on trouve beaucoup d’auteur-compositeur-interprète et peu d’interprètes… Pourquoi selon vous?

BV: On y trouve pas mal de chansons immortalisées par Yves Montand tout de même, ou Édith Piaf, même si Piaf signait également certaines de ses chansons. Mais c’est vrai qu’il s’agit essentiellement de chansons d’ACI, peut-être parce que j’ai sollicité beaucoup d’ACI!

7) Avez-vous eu des surprises, des déceptions dans le choix de certaines personnes ? Ou des artistes que vous aimez beaucoup personnellement et que presque personne ne cite?

BV: J’aurais beaucoup aimé que Guy Béart, Véronique Sanson ou Allain Leprest figurent dans le Top 100. Cela m’aurait semblé justice, mais voilà, aucune de leurs chansons n’ont recueilli 4 suffrages. Remarquez, il s’en ait fallu de peu pour «La Retraite» de Leprest qui a obtenu trois votes.

8) Quelqu’un m’a déjà dit que «Ne me quitte pas» de Brel était à l’origine une parodie et que, voyant le succès qu’elle obtenait «au premier degré», il a laissé les gens croire ça… Ce n’est pas fou, ça expliquerait la démesure, la grandiloquence du texte et de l’interprétation… Et si Ne me quitte pas était une moquerie qui a «mal tourné»… Avez-vous déjà entendu parler de cette explication?

BV: Je n’ai jamais entendu parler de ça et je n’y crois pas une seconde. Ricet Barrier, qui connaissait Brel pour avoir chanté avec lui dans la tournée 109 de Jacques Canetti, m’a clairement dit que cette chanson avait été écrite après la rupture de Brel avec Suzanne Gabriello.

9) Les meilleures chansons, c’est bien, mais est-ce qu’un livre sur les meilleurs albums francophones ne pourrait-il pas être envisagé ? Pour ma part, certains disques de Gainsbourg, Brassens ou Brel sont des oeuvres que je ne voudrais pas sectionner… Qu’est-ce que vous mettriez dans votre palmarès des albums?

BV: Ouh la la… À la volée, je dirais Les Marquises, Fantaisie Militaire, n’importe quel album de Brassens, Morgane de toi, le live de Lynda Lemay à l’Olympia que j’adore, Histoire de Melody Nelson, Jaune de Ferland, Mustango de Murat, Ferrat 80…

10) Dans le quotidien montréalais La Presse, il y a peut-être dix ans, ils avaient fait paraître un palmarès des meilleurs disques québécois de tous les temps. Le problème c’est que certains artistes avaient trop d’albums différents cités… Ce qui les empêchait d’être au sommet du palmarès car le vote était dilué… J’ai l’impression qu’il est arrivé la même chose avec votre ouvrage. Parmi les 100 chansons, on ne retrouve pas Attention fragile de Bernard Lavilliers, c’est assez étonnant, non?

BV: 276 chanteurs ont été sollicités, ça n’est pas rien! Qu’«Attention fragile» n’y figure pas peut vous étonner, mais c’est probablement parce que vous l’appréciez davantage que la moyenne des chanteurs. Il est certain que si Georges Brassens avait écrit moins de chefs-d’œuvre, sa «Supplique pour être enterré à la plage de Sète» figurerait un peu plus haut dans le Top. Mais nous avons tous ou presque notre chanson préférée de Brassens…

11) Quels sont vos prochains projets de livres ?

BV: Je n’en ai pour le moment pas la moindre idée. Le Flop 100 des chansons que les chanteurs détestent? Ce serait drôle.

****

*Précision: personnellement, je ne me réfère pas à ce qui passe ou non sur les ondes, contrairement à Baptiste Vignol, qui mentionne régulièrement la place qu’occupait telle ou telle chanson à la radio. Par exemple, La mémoire et la mer n’est peut-être jamais passée sur les ondes, mais tous les vrais amateurs de Léo Ferré citent cette chanson en exemple, en permanence, que l’on demande à un chanteur réaliste ou rock. Idem pour L’orage de Brassens: c’est un morceau chouchou, adoré de tous. Je ne parle pas du grand public, mais des amateurs, des musiciens.

A contrario, personne (ou presque) ne cite jamais La saison des pluies de Gainsbourg qui est pour moi beaucoup plus captivante que La javanaise ou Je t’aime moi non plus… Ou pour Anne Sylvestre: ok Une sorcière comme les autres, ok Les gens qui doutent, mais connaissez-vous cette merveille qu’est Il s’appelait Richard?

C’est ce que je voulais dire par des titres rabâchés. Les choses plus rares y sont aussi, mais jamais en tête de classement. Ce qui fait que si un badaud feuillette le livre en librairie et qu’il tombe sur toutes ces chansons archi ressassées, il faut lui dire d’aller voir les palmarès persos en fin d’ouvrage…

Baptiste Vignol, Le top des 100 chansons que l’on devrait tous connaître par coeur, aux éditions Didier Carpentier

La première partie de notre entretien, c’est .

Ma liste des 10 chansons de chevet, c’est ici.

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2 Réponses to “La chance aux chansons (2)”

  1. Gilbert Duroux Says:

    Pas d’accord avec votre appréciation de la chanson de Gaby Verlor (« c’était bien, un petit bal perdu »). La chanson, c’est un heureux mariage entre des paroles et de la musique. Une chanson réussie, ce n’est pas forcément un texte qui vole à des hauteurs stratosphériques, ce n’est pas forcément un texte poétique (qui se suffit à lui même, ce n’est pas pour rien que Victor Hugo a défendu que l’on jette de la musique aux pieds de ses vers), mais c’est un quelque chose qui laisse des traces, qui fait appel à des sentiments comme la tendresse ou la nostalgie, comme c’est le cas de « c’était bien ».

  2. francishebert Says:

    Personne, pas même les spécialistes de Victor Hugo ou les historiens de la chanson, n’a pu (re)trouver l’endroit où il aurait dit ou écrit une pareille chose… Alors, il faudrait peut-être une fois pour toutes cesser de répéter cette scie. Hugo a écrit plusieurs textes ou recueil(s) avec le mot chanson dedans, c’est donc que cet art ne devait pas lui déplaire – loin de là…

    J’ai dû l’écrire plusieurs fois, mais je crois que la chanson est l’heureux mélange entre des paroles, une mélodie, un interprète et des arrangements. Rien ne prime, mais un ou l’autre de ces éléments peut gâcher l’ensemble. Je parle bien sûr d’une chanson enregistrée et qui devient la référence, avant qu’on la réinterprète, ce qui est possible aussi, parfois avec bonheur.

    Par ailleurs, il est clair que la subjectivité, les souvenirs, affectent le jugement de l’auditeur, surtout avec des chansons qu’il aime probablement depuis l’enfance… Comprend qui peut ou comprend qui veut!

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